L’île Sainte-Thérèse a déjà eu une autre voisine

Photo de Gilles Berube
Par Gilles Berube

L’île Sainte-Thérèse a déjà eu une voisine sur la rive gauche du Richelieu. Mais il y a au moins deux siècles, vraisemblablement plus que cette langue de terre ne forme plus une île.

Le canal de Chambly comporte trois sections bien distinctes. Celles-ci correspondent à autant de moyens ou de méthodes pour l’aménager. Dans la section à l’amont, entre le centre-ville de Saint-Jean-sur-Richelieu et l’île Sainte-Thérèse, une digue a été érigée dans la rivière en longeant la berge.

Par la suite, l’île Sainte-Thérèse, l’île Sainte-Marie et l’île Fryer sont reliées entre elles par des jetées. Elles forment ainsi la rive est du canal. À l’aval, jusqu’au bassin de Chambly, le canal a été creusé dans les terres.

La rivière des Iroquois se jette dans le canal vis-à-vis l’île Sainte-Thérèse, à environ un kilomètre au nord du pont. Cette rivière prend sa source au sud-ouest du boulevard Saint-Luc, à proximité du chemin Saint-André. Elle serpente dans les terres et passe sous l’autoroute 35 avant de rejoindre le Richelieu.

Un peu avant son embouchure dans le canal, elle bifurque à 90 degrés vers le sud. En consultant le site Internet de Google Earth, on peut voir à l’opposé de ce bras sud une bande de végétation et une baissière, qui se dirigent vers le nord pour rejoindre le canal à la hauteur de la digue nord de l’île Sainte-Thérèse.

Île perdue

Un résident de la rue Massé, Gaétan Dupont, est convaincu qu’il s’agit d’un ancien bras de rivière, qui a été remblayé illégalement, notamment pour construire la rue de la Fleur-de-lys. Il croit que les deux bras de la rivière des Iroquois et le canal ont déjà entouré cette portion du quartier Jean-Talon, qui formait alors une île, «l’île perdue», comme il l’appelle.

Une carte topographique datant de 1996 montre la situation à peu près comme elle l’est actuellement. On y voit le bras sud de la rivière et la dépression du bras nord avec une partie surélevée vis-à-vis la rue de la Fleur-de-lys. Cette rue tout comme la rue Massé apparaissent sur cette carte. Une autre carte topographique datée de 1965 montre le même relief, sans ces deux rues. La topographie n’a pas changé depuis cinquante ans.

Dans les archives de Parcs Canada, d’autres cartes anciennes du canal de Chambly, datées de 1832, de 1881-1882 et de 1893 révèlent toutes la même situation. Le bras nord ne rejoignait pas le cours principal de la rivière des Iroquois. La carte de 1830 le montre comme un simple ruisseau long de quelques centaines de mètres. Les deux autres le présentent plutôt comme une zone marécageuse, qui s’arrête à peu près au point où se trouve maintenant la rue de la Fleur-de-lys. Par ailleurs, depuis 1901, il n’y a plus de lien hydrique entre le canal et cet ancien bras de rivière. Un siphon le relie maintenant directement à la rivière en passant sous le canal.

Glaciation

Marc Delage détient un doctorat en géographie physique (géomorphologie), la science qui étudie le relief terrestre. En consultant les cartes et le site de Google, il se dit convaincu que la rivière Richelieu a déjà eu un troisième chenal, à l’ouest du canal, formant ainsi une île côtoyant l’île Sainte-Thérèse. La rivière des Iroquois se jetait dans ce chenal. Mais cette situation peut remonter à des centaines, voire des milliers d’années.

Lors du dernier maximum glaciaire, il y a environ 18 000 ans, la région a été recouverte d’une calotte de glace épaisse de deux à trois kilomètres. Celle-ci a littéralement écrasé le continent. Quand elle s’est progressivement retirée, le territoire a été envahi par l’eau de l’océan Atlantique, ce qui a créé la Mer de Champlain. Il y a déjà eu quelque 600 pieds d’eau au-dessus du Haut-Richelieu.

Libéré du poids de la glace, le continent s’est peu à peu relevé, repoussant la Mer de Champlain vers l’océan. Ce phénomène, appelé «relèvement isostatique», s’est amorcé il y a environ 13 000 ans avec le retrait des glaces dans le sud du Québec.

Plus le continent se relevait, moins la nappe d’eau était profonde. L’eau s’est concentrée, donnant naissance à des chenaux, qui ont créé de nombreuses îles. Celles-ci ont perdu leur statut d’île avec l’assèchement des chenaux. À l’aide de photographies aériennes, observe Marc Delage, il est possible d’en déceler à plusieurs endroits sur le territoire, notamment autour des cours d’eau actuels.

M. Delage estime que le remblai qui semble barrer la rivière à la hauteur de la rue de la Fleur-de-lys devait sans doute être là en 1832. S’il y avait eu un bras de rivière, il aurait sûrement été cartographié, pense-t-il. Ce point surélevé pourrait avoir été causé par la sédimentation ou un glissement de la rive, mais il est plus porté à l’attribuer au relèvement isostatique. Des outils cartographiques plus précis permettraient sans doute de le déterminer. Chose certaine, ça ne date pas des dernières décennies.

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