À la suite d’une décision arbitrale, les policiers de Saint-Jean-sur-Richelieu pourront arborer leurs tatouages à moins qu’ils ne véhiculent des valeurs contraires à leur travail.
Ça n’étonnera personne, mais les tatouages sont de plus en plus répandus. Au poste de police de Saint-Jean, 42 des 130 policiers portent un tatouage plus ou moins visible. C’est ce qui a conduit la direction du service à adopter, en 2010, une «directive opérationnelle sur les tatouages, les implants subdermiques, les marquages, la scarification ou toute autre modification corporelle temporaires ou permanents».
Dès la première année, quatre griefs ont été déposés par des policiers pour en contester certaines parties. Il aura fallu six ans, six jours d’audiences, un sondage téléphonique de Léger Marketing (commandé par la Fraternité des policiers), un sondage web de CROP (commandé par la Ville), l’expertise d’une universitaire spécialiste des sondages, celle d’un psychologue et plusieurs témoignages pour trancher la question. Dans une décision longuement étoffée remise vendredi dernier, l’arbitre, Me Joëlle L’Heureux, donne largement raison aux policiers.
Dans son témoignage, le directeur du service, Serge Boulerice, a mis en évidence l’importante de l’image véhiculée par les policiers pour maintenir le lien de confiance avec les citoyens. Dès 2007, il avait mis en place un comité de travail pour revoir la directive sur le port de l’uniforme et la tenue personnelle au travail. En 2009, une première version prévoyait l’interdiction des tatouages.
Dimension
Finalement, la directive adoptée prévoyait de limiter les policiers à un seul tatouage de petite dimension (8 cm x 8 cm). Ces tatouages ne doivent avoir aucune connotation à caractère sexiste, raciste, incitant à la violence, faisant la promotion de l’alcool et de la drogue ou allant à l’encontre des valeurs et de la mission du service. Ils ne devaient pas non plus être de «mauvais goût, inacceptables ou avoir un caractère offensant».
Tout tatouage non toléré doit être recouvert d’un vêtement ou d’un maquillage. La directive interdisait également les tatouages ou «modifications corporelles» visibles au-dessus des épaules et sur les mains. En outre, avant de se faire tatouer, les policiers devaient faire approuver le dessin.
Notons que de nombreux corps policiers ou organismes de sécurité appliquent des normes relatives aux tatouages. Me L’Heureux retient qu’il n’y a aucune uniformité. Les critères d’interdiction qui reviennent le plus souvent portent sur les tatouages offensants, qui incitent à la violence, sur les mains, au-dessus des épaules et au visage.
Dans son témoignage, le chef de police de même que le psychologue expert ont fait un lien entre les tatouages et l’image des criminels et des comportements à risques. L’arbitre a écarté ces arguments. À la lumière des deux sondages, elle croit que cette perception est chose du passé.
Banal
Les deux enquêtes d’opinion se rejoignent. Une majorité de citoyens aime peu ou carrément pas les tatouages. Mais près de 90% des répondants en portent ou connaissent quelqu’un qui a un tatouage. En somme, cette pratique est devenue banale. Elle est largement répandue même si elle déplaît largement.
Selon Me L’Heureux, rien ne permet d’établir que les citoyens l’associent encore à la criminalité. Les policiers qui ont témoigné ont d’ailleurs affirmé que leurs tatouages véhiculent des valeurs familiales ou celles de leur travail. Dans son argumentation, le syndicat invoque la charte des droits et libertés, notamment le droit à la vie privée et la liberté d’expression.
Reconnaissant la légitimité de l’employeur de vouloir protéger son image, il affirme que ce dernier n’a pas montré le lien rationnel entre l’interdiction et son objectif. Mais il va aussi jusqu’à plaider que l’obligation de porter des chemises à manches longues en été est une mesure humiliante.
Le syndicat contestait essentiellement les dispositions portant sur le nombre et la dimension des tatouages, les tatouages sur la nuque et l’approbation préalable des dessins. L’arbitre lui donne raison sur ces points. Elle invalide également les critères de «mauvais goût et inacceptable» pour juger du caractère d’un tatouage et les dessins n’auront plus à être approuvés. Par contre, elle croit justifiée et minimale l’obligation de recouvrir les tatouages non tolérés (racistes, sexistes et autres).