Le centenaire d’une bien triste disparition

Par Denis Henri
Le centenaire d’une bien triste disparition
La Tourte voyageuse

Le dossier des oiseaux rares et menacés, aussi appelés oiseaux en péril, fait couler beaucoup d’encre, tant au gouvernement provincial que fédéral.

Une armée de spécialistes, tant techniciens que biologistes, suit l’évolution des différentes populations d’oiseaux afin d’éviter ou, à tout le moins, de retarder ce qui, pour plusieurs, semble inévitable: la disparition complète d’une espèce d’oiseaux de la surface de la Terre!

En cette année 2014, plus précisément le 1er septembre prochain, l’Amérique tout entière soulignera le centenaire de la disparition d’un des oiseaux qui était le plus abondant de son époque et dont le dernier représentant de son espèce, une femelle appelée Martha, s’est éteint au zoo de Cincinnati. On parle ici de la Tourte voyageuse, aussi appelée Pigeon voyageur!

Pas de rapport

Tout d’abord, j’aimerais tout de suite rectifier une erreur que bien des Québécois font au sujet de la tourte et de la tourtière: on n’a pas nommé ce plat parce qu’il y avait de la tourte dedans!

Il n’est pas impossible, même si on n’a aucune preuve de cela, que cet oiseau, considéré comme un excellent et abondant gibier en Amérique du Nord, se soit retrouvé parmi les nombreux ingrédients giboyeux de ce plat typique de la très grande région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Mais en réalité, c’est le récipient dans lequel ce met typique y mijote, appelé tourte, qui a donné le nom de tourtière audit plat!

Pour plus de précisions, allez lire le petit texte sur ce sujet dans la dernière édition de la revue Québec Oiseaux. Il s’agit du 100e numéro de cette magnifique revue consacrée exclusivement aux oiseaux et dont la première parution remonte à 25 ans déjà!

Quelques faits

Voici quelques faits intéressants et tout à fait incroyables concernant la Tourte voyageuse. J’espère que vous êtes bien assis, car les chiffres concernant cet oiseau sont troublants.

Tout d’abord, selon toute vraisemblance, la Tourte voyageuse était l’oiseau le plus abondant d’Amérique du Nord lors de la découverte de ce continent. On parle d’une population estimée entre trois et cinq milliards d’individus! Cet oiseau nichait généralement en milieu forestier, le plus souvent dans les forêts de hêtres, de chênes et d’érables. Le couple n’avait qu’un seul petit par année, ce qui n’est pas la norme chez les représentants de sa famille qui compte aussi la Tourterelle triste et le Pigeon biset, qui ont deux petits à la fois.

La plus grande colonie jamais découverte, localisée au Wisconsin, comptait pas moins de 136 millions d’oiseaux et était longue de 160 kilomètres et large de 5 à 16 kilomètres. Un seul arbre pouvait parfois contenir plus de 300 nids!

Ces oiseaux étaient si nombreux que des volées constituées de millions d’individus pouvaient masquer le soleil des heures durant. Là où elles nichent, le sol est couvert d’une épaisse couche de fiente qui peut atteindre un ou deux pieds d’épaisseur.

Deux facteurs

Comment un oiseau aussi abondant a-t-il pu disparaître en si peu de temps? Deux facteurs sont en cause et dans les deux cas, le grand responsable est l’homme. La quasi-destruction des grandes forêts dans l’est du continent, pour l’agriculture et l’urbanisation, a considérablement réduit les bons territoires de nidification de la tourte.

Ensuite, comme cet oiseau était très apprécié comme gibier, l’homme a fait un véritable carnage partout où il pouvait abattre la tourte et les nombreux récits des chasses à ce «pigeon voyageur» relèvent parfois de la science-fiction. Non, ce sont des récits véridiques: mille chasseurs et piégeurs se sont mis à l’œuvre à partir de 1850. En mai 1871, pas moins de 50 000 oiseaux ont été vendus en une journée sur le marché de Boston, et en 1874, dans une seule colonie du Michigan, 700 000 tourtes furent abattues en un mois.

D’un seul coup de feu, on abattait facilement six oiseaux et deux coups dans un dortoir pouvaient tuer jusqu’à 60 oiseaux. Des concours de tir aux pigeons furent organisés, dont un où il fallait abattre au moins 30 000 oiseaux avant de pouvoir réclamer un prix.

À l’été 1878, 1,5 million de tourtes auraient été abattues, décimant la dernière grande colonie de cet oiseau en Amérique du Nord! Qu’on vienne encore me dire que l’homme est un être intelligent!

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