La modernité d’un classique

La modernité d’un classique

Anne Hébert figure parmi les fondateurs de la littérature québécoise moderne. Poète et romancière, elle a créé son propre discours littéraire en représentant, dans un premier temps, une poésie aux formes nouvelles et, par la suite, des archétypes de personnages romanesques de plus en plus près de l’époque contemporaine. L’écrivaine a ainsi laissé en héritage une œuvre dont la diversité est une de ses richesses où les vers sont une imagerie vivante, et ses héros, des êtres surdimensionnés.

Le recueil de nouvelles, auquel Le torrent a prêté son titre, parut en 1950 à compte d’auteur; il était alors composé de cinq textes en prose. Réédité en 1963 par Hurtubise HMH, dont Claude Hurtubise avait été un ami et l’éditeur de son cousin Saint-Denys-Garneau, deux autres nouvelles y furent alors ajoutées.

Le torrent est un récit unique dans l’œuvre d’Anne Hébert, bien qu’il annonce d’autres personnages, d’autres situations dramatiques et d’autres atmosphères bouleversants. Je crois même que l’originalité du Torrent dans l’ensemble du corpus de la littérature québécoise tient à ce qu’il met en scène une relation mère fils d’une violence inouïe qui dépasse largement le contexte, même historique, et que rien ne parvient à expliquer et encore moins à justifier.

La trame se résume ainsi. Claudine Perreault a un enfant hors mariage, une faute alors impardonnable. Une erreur de jeunesse que les moins de 20 ans d’aujourd’hui comprennent difficilement, car les obligations chrétiennes sont pour plusieurs d’entre eux d’une autre époque, d’un temps définitivement révolu.

Claudine élève seule son fils François, sur lequel elle a une main de fer. Un climat de terreur règne dans sa maison où toute forme de tendresse est absente. Elle s’est d’ailleurs installée en marge de la société pour éloigner son enfant de toute influence néfaste. C’est aussi la façon qu’elle a choisie pour faire taire toute rumeur la concernant.

Cette mère indigne veut faire expier sa faute en faisant de François un prêtre. Elle croit qu’ainsi non seulement il la rachètera, mais qu’il se sauvera lui-même. Or, on ne s’isole jamais complètement du monde et, bien que François entreprenne des études classiques devant le préparer au grand séminaire, c’est sur la terre maternelle qu’il croisera ceux qui vont lui ouvrir les yeux, dont la jeune Amica.

La fin de ce récit est doublement tragique, car il y a la mort de Claudine et, plus tard, celle de François. Je ne peux imaginer qu’Anne Hébert eut pu faire autrement compte tenu de cette vie en osmose que fut celle de la mère et du fils. Le châtiment de Claudine et le néant affectif dans lequel elle a plongé François éclatent donc littéralement.

Je n’ai pas oublié les six autres nouvelles qui composent ce recueil. Chacune me semble aussi bien un exercice de style pour la jeune écrivaine d’alors que l’exploration de macrocosmes d’êtres humains évoluant dans un contexte social donné. Je crois même que l’ensemble de ces proses, mis à part Le torrent, dessine une fresque de ce que deviendra l’œuvre romanesque de l’écrivaine. Puisque je considère Anne Hébert comme étant LA grande dame de notre littérature, la lecture du Torrent est un bref tour d’horizon de ce que seront ses grandes œuvres.

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