Une vie à écrire et à atteindre les plus hautes sphères

Par Isabelle Laramee
Une vie à écrire et à atteindre les plus hautes sphères
Pierre Ouellet termine avec À vie, publié chez Druide, une trilogie mélangeant la fiction et l'autobiographie.

«Il faut nier avant de pouvoir affirmer.» Ces deux actions. La première évoque l’esprit de manifestation de l’homme forgé dans les années 60 et 70 et la seconde, cette prise de parole, ce devoir de dire et de penser. Cette phrase est l’essence même de l’écrivain Pierre Ouellet.

Ce sage a fait de ses écrits nés au bord du Richelieu un croquis de la société. Il se dit écrivain avant tout. Il est l’un des rares à l’être. Au total, une quarantaine de livres sont nés de la plume du membre de l’Académie des lettres du Québec et de la Société royale du Canada.

À la fois romancier, poète, essayiste et professeur, le récipiendaire du prix Athanase-David (la plus haute distinction québécoise) en 2015 présente ces jours-ci À vie chez Druide.

Le dernier livre d’une trilogie campée dans les années 60 et 70 plonge le récit dans les souvenirs autobiographiques de l’auteur en les mélangeant à la fiction. Une œuvre achevée et encensée qui a pour racine une vie passée dans l’écriture.

Écrits

Ses écrits, mais aussi ceux des autres. L’ouvrage Les Chants de Maldoror de Lautréamont est son Graal. Il trône au-dessus des noms inscrits dans ses bibliothèques. Au sommet de la pyramide. Il y a bien sûr Valery, Bosco, Georges Bataille, Joël Bousquet et l’essayiste Roland Barthes, mais rien n’égale Lautréamont, table-t-il. Il y a découvert le mélange de la poésie et de la prose.

«J’avais une imagination très fertile déjà, raconte celui qui a commencé par la peinture avant l’écriture. Je ne savais pas encore comment dans les mots tout cela pouvait s’incarner. À l’époque, on faisait lire aux jeunes garçons les Bob Morane et autres romans d’aventures. J’aime bien l’aventure. Mais ce n’était pas le contenu qui m’intéressait, comme dans la peinture, ce n’était pas les formes, les visages, mais plutôt la touche.»

En lisant entre autres Mallarmé et les auteurs de La Pléiade, Pierre Ouellet a fait le pont entre les deux médiums. «J’ai commencé à écrire comme je peignais, dit-il. En essayant de faire ressurgir des images dans une espèce de rythme qui m’était propre.»

Nature

C’est dans les bois qu’il trouvera notamment ce rythme. Il y a d’ailleurs un rapport très fort entre Pierre Ouellet et la nature. Celui qui a grandi à Beauport entre les chutes Montmorency, le fleuve et la forêt estime que cette époque de sa vie est un poème de la nature.

«En même temps, je découvrais la nature du poème à travers Rimbaud, Lautréamont, René Char, Francis Ponge. Ç’a été le début. J’ai su que ce serait la passion de ma vie. Ce rapport entre le monde naturel et le monde imaginaire que les écrivains pouvaient construire.»

Il en parle avec un immense respect d’ailleurs de cette nature. Pour créer depuis 14 ans, Pierre Ouellet s’installe dans son petit kiosque sur la rive de la rivière Richelieu. Il s’imprègne de son mouvement, de son courant. La rivière n’est pas étrangère à ses romans. Nombre de fois elle y est mentionnée et elle coule en eux.

Des leçons

Philosophe, Pierre Ouellet affirme que l’homme a plusieurs leçons à tirer de la nature. «Les rapports sociaux sont tellement régis par des lois, dit-il. Elles sont aseptisantes et nous éloignent les uns des autres. Je pense qu’il faut prendre exemple sur la vie naturelle.»

Il poursuit en appuyant sur le fait que les rapports sont toujours fondés sur le marché, la concurrence, le profit, la capitalisation. «C’est en train de nous tuer, lance-t-il. On tue la nature avec ça, mais on s’entretue aussi. Il faut se réconcilier avec le monde naturel au lieu de le mettre en esclavage pour exploiter ses ressources.»

Prix

Il a reçu le Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie essai à deux reprises, pour À force de voir. Histoire de regards (2005) et Hors-Temps. Poétique de la posthistoire (2008). Pierre Ouellet s’est vu honoré de nombreuses fois, notamment avec le prix Spirale Eva-Le-Grand, le Grand Prix Québecor du Festival international de la poésie, le prix Ringuet en plus de celui du Québec, le prix Athanase-David.

Ce denier prix demande un long processus de sélection. «Le prix du Québec est extrêmement difficile, dit-il en parlant du prix qui englobe l’ensemble de son œuvre. C’est à la recommandation de quelqu’un d’autre qui doit aller chercher les avis de cinq autres auteurs français ou québécois pour soutenir ma candidature.»

Parmi les honneurs, le prix Hommage de la Soirée Ès Arts qui lui a été remis cet automne par la MRC du Haut-Richelieu et la Ville de Saint-Jean a une place privilégiée. «J’ai beaucoup aimé le prix Hommage, car c’est un prix populaire. Il y avait toutes sortes de gens dans la salle. C’est le premier prix que je reçois qui ne vient pas de mes amis écrivains. Ils n’ont pas fait ça pour me retourner l’ascenseur, mais car ils croient à mon œuvre.»

Enseignement

L’enseignement et l’écriture ont longtemps été deux portions distinctes de la carrière de Pierre Ouellet. Le titulaire de la Chaire de recherche en esthétique et poétique au Département d’études littéraires de l’UQAM attribue l’écriture de ses essais à cette portion du travail d’enseignement.

Celui qui a pris officiellement sa retraite il y a deux ans continue d’enseigner à la maîtrise et au doctorat au Québec et à l’étranger. Il repartira d’ailleurs bientôt pour enseigner à l’université Sorbonne-Nouvelle à Paris et en Belgique.

«La littérature est un dialogue pour moi, dit-il. L’auteur qu’on est en train de lire et les personnages dont il nous parle sont des personnes avec qui on dialogue dans notre tête. C’est pareil quand j’écris.»

L’enseignement devient alors la place idéale pour réaliser ce dialogue, comme sur une scène de théâtre. «Les étudiants ont lu les mêmes livres que moi et j’aime comprendre comment ils les ont perçus, comment ils articulent le livre, dit-il. Ça donne un caractère concret à la littérature.»

Littérature

Est-ce que la littérature a la place qui lui revient dans la société? Certainement pas, selon l’homme de lettres. Malgré la multiplication des textes écrits qui pullulent sur le Web et les divertissements, les lettres sont malmenées. Les grands auteurs se retrouvent empoussiérés au profit de la facilité parfois.

«On devrait prendre soin de notre hygiène mentale comme on prend soin de notre hygiène physique, lance-t-il. Il faut faire des efforts pour ça. Un moment donné, ce n’est plus des efforts. Moi, au contraire, j’ai un immense plaisir à lire des choses très difficiles, comme des textes grecs anciens.»

Pierre Ouellet fait un parallèle avec l’athlète chevronné qui a du plaisir à skier à toute vitesse ou à nager de grandes distances. Ou encore les musiciens qui se sont acharnés sur leur piano pendant des décennies pour atteindre le statut de virtuoses. On doit se muscler l’esprit comme le corps.

Appauvrissement

«Les gens doivent apprendre qu’on peut avoir une jouissance de tout notre être si on accepte de déployer un certain nombre d’efforts qui vont nous amener à développer des habiletés. Il faut développer la faculté qu’on a de faire ressurgir des images lorsqu’on lit.»

Il poursuit en avançant que l’appauvrissement de l’imaginaire vient un peu de là. «Les personnes qui me disent ne pas lire beaucoup l’expliquent parce qu’elles ont de la difficulté à créer du monde en lisant, explique-t-il. Je leur dis: « Laissez-vous aller, vous allez entendre des choses et voir des choses comme si vous y étiez ».»

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