Une documentariste montréalaise se penche sur les défis des quartiers chinois

Morgan Lowrie, La Presse Canadienne
Une documentariste montréalaise se penche sur les défis des quartiers chinois

MONTRÉAL — Partout en Amérique du Nord, les quartiers chinois ne partagent pas seulement une apparence visuelle similaire: ils sont souvent aussi confrontés aux mêmes défis pour assurer leur survie — dans des enjeux qui ressemblent à des duels David contre Goliath.

À New York, les résidents du quartier chinois doivent manifester contre la construction d’une imposante prison dans leur communauté. À Montréal, la diaspora chinoise doit se battre pour protéger ses bâtiments patrimoniaux et ses restaurants familiaux qui ont été mis à mal pendant la pandémie.

Tous ces défis ont poussé la documentariste Karen Cho à se pencher sur la question de la survie des quartiers chinois partout sur le continent dans son film «Big Fight in Little Chinatown» (Grande bataille dans le petit quartier chinois).

Mme Cho, une Canadienne d’origine chinoise de cinquième génération, présente dans son documentaire comment l’embourgeoisement des villes menace la plupart des quartiers chinois en Amérique du Nord.

En entrevue avec La Presse Canadienne, elle explique que les quartiers chinois sont fréquemment visés par les administrations municipales lorsque vient le temps de réaménager certains secteurs de leur ville, parce qu’ils sont souvent situés près des centres-villes.

Mais si cette raison géographique est souvent évoquée, Mme Cho n’a pas peur de parler de ce qu’elle qualifie de «croisement entre le racisme et l’urbanisme», puisque, selon elle, les projets de réaménagement majeurs dans les villes ont lieu de façon disproportionnée dans les communautés racialisées ou immigrantes.

«Chaque fois, peu importe où se trouve le quartier chinois, c’est là que les administrations décident de faire passer une nouvelle autoroute, installer un système de transport en commun ou ériger un stade», dénonce-t-elle lors d’une conversation téléphonique.

Le quartier montréalais aussi menacé

Le quartier chinois de Montréal, ville natale de la documentariste, est au cœur du film. Toutefois, ce n’était pas du tout le plan initial, puisque Mme Cho était convaincue que les quartiers chinois de villes comme Vancouver et New York étaient confrontés à des enjeux beaucoup plus grands.

Mais cette préconception a changé du tout au tout en 2021, quand un promoteur a acheté certains des immeubles les plus historiques du quartier chinois, dont le bâtiment de Nouilles Wings, qui est le plus grand fabricant de nouilles et de biscuits orientaux au Québec.

«Quand l’immeuble de Nouilles Wings a été vendu, ça m’a vraiment fait mal, confie Mme Cho. Je ne pouvais pas croire que j’allais documenter la fin de mon propre quartier chinois.»

Mme Cho a d’ailleurs fait partie du Groupe de travail sur le quartier chinois de Montréal, un collectif qui s’est formé pour défendre les intérêts historiques du secteur en réponse à tous les projets de modernisation.

Début 2022, les militants ont remporté une bataille importante lorsque le gouvernement provincial a signé un avis officiel accordant le statut de site patrimonial au «noyau institutionnel» du quartier chinois ainsi qu’à deux de ses bâtiments les plus connus, dont l’immeuble de Nouilles Wings. Ce statut protège les bâtiments concernés de la démolition et de modifications significatives sans autorisation.

Selon Mme Cho, cette désignation était un bon premier pour assurer la protection de ce qui reste du quartier chinois de Montréal, qui, à son avis, était «à un projet de condos» de disparaître.

Pas sortis du bois

Cependant, le documentaire de Mme Cho rappelle clairement que pour sauver les quartiers chinois en Amérique du Nord, il ne faut pas seulement s’attaquer aux bâtiments eux-mêmes et à leurs façades.

Une grande partie du film est consacrée à présenter le quotidien des habitants du quartier chinois de villes comme Montréal, Vancouver et New York. On peut donc y voir des propriétaires d’entreprises en train de préparer de la nourriture, des jeunes qui répètent une danse du dragon et des personnes âgées qui se retrouvent dans des parcs.

Pour la documentariste, il était important de rappeler que les quartiers chinois ne sont pas seulement des endroits touristiques où l’on vend des souvenirs et du dimsum aux passants, mais qu’on y trouve aussi des espaces communautaires importants pour les personnes qui y vivent.

«Je voulais que les gens voient les quartiers chinois de l’intérieur: pas seulement comme des touristes, mais plutôt du point de vue de gens qui sont là depuis longtemps», mentionne-t-elle.

«Donc au lieu de regarder le quartier depuis le trottoir, on entre dans la peau des gens qui racontent l’importance de leur quartier.»

Afin de présenter son documentaire, Mme Cho a voyagé partout en Amérique du Nord, que ce soit à Montréal, Vancouver, Winnipeg ou Los Angeles.

Elle fera aussi des arrêts pour une projection spéciale dans le quartier chinois d’Edmonton dimanche et au cinéma Hot Docs de Toronto mardi. Le documentaire sera par la suite diffusé sur TVO, en Ontario, et à Radio-Canada.

Selon Mme Cho, la plupart des projections ont lieu dans des quartiers chinois, où elle a eu l’occasion de discuter avec des dirigeants communautaires locaux de leurs efforts pour préserver leurs quartiers. Leurs réponses, souligne-t-elle, l’ont laissée pleine d’espoir.

«Au fond, les quartiers chinois sont un peu comme ce brin d’herbe qui pousse sur un bloc ce ciment: on dirait qu’il ne devrait pas être là, mais il est plein de vie.»

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