Un journaliste sur deux au Québec victime de cyberintimidation, selon une étude

Frédéric Lacroix-Couture, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Plus de la moitié des travailleurs de l’information au Québec disent avoir été victimes de cyberharcèlement, un phénomène qui amène certains à éviter de couvrir des sujets controversés, selon une étude menée pour le compte de la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC) affiliée à la CSN.

«On trouve que les conditions de pratique des journalistes, des gens de l’information, se dégradent de façon vertigineuse depuis quelques années, et le cyberharcèlement en est une des composantes», a déploré Annick Charette, la présidente de la FNCC, qui représente la plupart des syndicats d’information au Québec. 

Les résultats du projet de recherche sur la cyberintimidation dans le milieu journalistique ont été révélés jeudi, à l’approche de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai. 

L’étude réalisée par Stéphane Villeneuve et Jérémie Bisaillon, deux chercheurs de l’UQAM, compte un échantillon de 264 journalistes, chroniqueurs et animateurs. 

Près de 51 % d’entre eux ont rapporté avoir subi de l’intimidation en ligne, surtout sur les réseaux sociaux, au cours des cinq dernières années. Un pourcentage plus élevé comparativement à d’autres professions, ont souligné les deux auteurs, qui avancent comme hypothèse pour expliquer cet écart que les journalistes sont davantage exposés au public. 

Dans une forte proportion (80 %), le type de cyberharcèlement vise fréquemment la remise en question de la qualité du travail. Si critiquer le travail journalistique peut être sain, le ton et la forme demeurent importants, a soutenu Stéphane Villeneuve.

«Ça dépend toujours de la façon dont c’est dit, c’est souvent ça la différence entre le cyberharcèlement et le débat critique», a-t-il affirmé. 

Une majorité de répondants ont indiqué avoir reçu des propos offensants (76,5 %) et ridiculisants (67,7 %).  Dans une plus petite proportion, 17,8 % des participants affirment avoir reçu des menaces visant leur intégrité physique, et 7,2 % des menaces de mort.

Lorsqu’ils visent des femmes, les propos touchent davantage l’intégrité de la personne et comportent des propositions de nature sexuelle, en comparaison avec leurs collègues masculins. Les hommes représentent d’ailleurs 90 % des harceleurs, selon l’enquête.  

Ces attaques en ligne peuvent avoir des impacts sur les plans professionnel et personnel des journalistes. L’étude montre que la cyberintimidation engendre du stress chez près de 42 % des victimes répondantes et de la colère chez environ le tiers d’entre elles. 

Il y a aussi une perte de confiance et de productivité. De plus, 13,4 % des victimes de cyberharcèlement ont dit avoir évité de couvrir certains sujets controversés dans le cadre de leur travail, et même avoir songé à quitter leur emploi (8,2 %). 

Sensibiliser la population 

La recherche pointe une absence de mesures à l’intérieur des entreprises médiatiques pour combattre le cyberharcèlement. Près des trois quarts des répondants ont affirmé qu’il n’existe aucune mesure concrète pour prévenir le phénomène. 

Cependant, la plupart des victimes qui ont rapporté un événement de cyberintimidation se sont montrées satisfaites du soutien offert de la part de leur employeur. 

Les deux auteurs proposent certaines recommandations face au cyberharcèlement chez les journalistes, comme sensibiliser la population sur le phénomène et surtout sur les conséquences. 

Le rapport propose d’ailleurs d’imposer des mesures plus strictes aux personnes harceleuses. Il suggère aussi d’inclure «explicitement» le cyberharcèlement dans la Loi des normes du travail. 

La FNC souhaite également que les travailleurs d’information soient inclus comme groupe ciblé dans la future loi fédérale encadrant les discours haineux en ligne. 

«Je pense que cette étude met un point sur des choses, qu’un dialogue doit s’engager avec les organisations de l’information pour qu’il ait de la prévention et du soutien, et aussi avec les milieux politiques pour réduire ce type d’impacts», a indiqué Mme Charette. 

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Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles

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