OTTAWA — Le gouvernement fédéral demande aux employés syndiqués de Postes Canada de voter directement sur les dernières offres du service postal, une intervention peu commune dans les négociations collectives qui, selon un expert, pourrait donner à l’employeur l’avantage dans son conflit de longue date avec le syndicat.
La ministre fédérale de l’Emploi, Patty Hajdu, a annoncé jeudi dans une publication sur les réseaux sociaux qu’elle utilisait les pouvoirs que lui confère le Code canadien du travail pour ordonner un vote sur les dernières offres que Postes Canada a soumises au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).
Elle a affirmé qu’il est dans l’«intérêt public» de donner aux membres du STTP la possibilité de voter sur ces offres, que Postes Canada présente comme ses propositions «finales».
Mme Hajdu a indiqué que le Conseil canadien des relations industrielles sera chargé de tenir le vote «dès que possible».
Le STTP, qui représente environ 55 000 travailleurs et travailleuses du secteur postal, a rejeté l’idée d’un vote des membres sur la dernière offre. Dans un bulletin envoyé mardi aux membres, le syndicat a accusé l’employeur d’«afficher un manque de sérieux envers un arbitrage concluant».
Le 4 juin, la ministre Hajdu a demandé aux parties de convenir des modalités d’un arbitrage exécutoire, un processus qui verrait une tierce partie tenter de conclure une convention collective.
Mais Postes Canada a soutenu que l’arbitrage serait trop lent et a demandé au gouvernement fédéral, le 30 mai, de soumettre plutôt les dernières offres au vote.
Dans une déclaration écrite envoyée aux médias jeudi, Postes Canada a affirmé que la société se réjouissait de la tenue du vote, ajoutant qu’il «donnera aux employés et employées l’occasion de se faire entendre et de voter sur une nouvelle convention collective à un moment critique de notre histoire».
«Une entente négociée entre les parties a toujours été la voie privilégiée avant la tenue d’un vote de ratification par les membres, mais dans ce cas-ci, les parties demeurent dans une impasse majeure», a déclaré Postes Canada.
Alors que Postes Canada avait demandé le vote afin de résoudre rapidement le conflit qui dure depuis 18 mois, la ministre de l’Emploi a demandé aux parties la semaine dernière de négocier les modalités d’un arbitrage exécutoire, un processus que le STTP s’est dit prêt à soutenir.
Dans un bulletin envoyé mardi à ses membres, le syndicat a accusé Postes Canada de ne pas prendre au sérieux un arbitrage significatif.
Le STTP a avancé jeudi que la décision de Mme Hajdu constituait une nouvelle atteinte à ses droits à la négociation collective.
«En décembre dernier, Steven MacKinnon, alors ministre du Travail, a utilisé l’article 107 du Code canadien du travail pour mettre notre grève légale sur « pause », et l’article 108 pour créer une Commission d’enquête sur les relations de travail», a affirmé Jan Simpson, présidente nationale du syndicat, dans un bulletin.
«Ces attaques répétées du gouvernement ont empoisonné le processus de négociation», a-t-elle ajouté.
Le syndicat a demandé à ses membres de rejeter les offres de Postes Canada.
Une forme d’«ingérence gouvernementale»
Adam King, professeur adjoint au programme d’études de relations de travail de l’Université du Manitoba, a indiqué que les gouvernements imposent rarement des votes pour régler les conflits de travail et ne le font généralement que lorsque les négociations durent depuis très longtemps. Une majorité simple est généralement nécessaire lors du vote, a-t-il précisé.
«Si c’est rare, c’est parce que c’est très controversé, a déclaré M. King. Les syndicats, bien sûr, n’apprécient pas cela. Ils le considèrent comme une forme d’ingérence gouvernementale.»
Comme d’autres interventions, M. King a souligné qu’un vote forcé envoie un message aux employeurs: ils ne sont pas obligés de satisfaire aux demandes du syndicat à la table de négociation; ils peuvent plutôt compter sur le gouvernement pour les sortir du pétrin.
Bien que ces votes forcés soient parfaitement légaux et prévus par le droit du travail de nombreuses juridictions, M. King a déclaré qu’ils n’avaient rien de «naturel» dans le processus de négociation.
«En fait, c’est une mesure qui a été intégrée au cadre des relations de travail pour donner au gouvernement et aux employeurs une certaine emprise sur les syndicats», a-t-il noté.
Le STTP est en position de grève légale depuis le 23 mai, mais les travailleurs n’ont pas exercé l’arrêt de travail. Le syndicat a plutôt opté pour une interdiction nationale des heures supplémentaires.
Postes Canada et son syndicat négocient depuis environ un an et demi une nouvelle entente pour les travailleurs, alors que la situation financière du service postal s’est aggravée.
Les dernières offres déposées par Postes Canada le 28 mai comprennent une augmentation salariale d’un peu plus de 13 % sur quatre ans et des plans pour instaurer un service postal de fin de semaine, ainsi que d’autres changements structurels visant à maintenir le service postal à flot.
Ces changements comprennent la création d’un corps de postiers à temps partiel bénéficiant de salaires et d’avantages sociaux similaires.
Une tactique qui pourrait se retourner contre l’employeur
M. King a affirmé que Postes Canada pourrait soupçonner les travailleurs d’être «frustrés» et «épuisés» à mesure que les négociations se prolongent et plus disposés à approuver les dernières offres.
Mais Larry Savage, professeur d’études de relations de travail à l’Université Brock, en Ontario, estime que cette tactique pourrait se retourner contre l’employeur.
«La décision de Postes Canada de demander à la ministre d’approuver l’imposition d’un vote entraînera probablement une réaction forte qui contribuera à unifier les membres divisés du STTP en opposition à l’employeur», a-t-il soutenu dans un courriel.
M. Savage a indiqué qu’il n’était pas clair comment un vote qui échouerait permettrait aux parties de se rapprocher d’une résolution.
Le rapport Kaplan
Une commission d’enquête sur les relations de travail, mise sur pied par le gouvernement fédéral après la grève d’un mois des postiers pendant la période des Fêtes de l’année dernière, a conclu que Postes Canada était pratiquement en faillite.
Le commissaire William Kaplan a recommandé la fin de la livraison quotidienne du courrier à domicile et l’expansion des boîtes postales communautaires, entre autres mesures visant à maintenir le service postal en activité.
Il a également appuyé le modèle de Postes Canada pour les postiers à temps partiel – un point de friction dans les négociations – et a largement imputé l’impasse des négociations au STTP, qui défendait le statu quo.
M. Savage a affirmé que le rapport Kaplan «minait» la position de négociation du STTP et que, bien que le syndicat ait déclenché la grève à la fin de l’année dernière, il n’a pas la capacité de mener ce type de grève cette fois-ci.
«Cela rend l’intervention du gouvernement de plus en plus probable en cas de rejet d’une convention collective», a-t-il fait valoir.
— Avec des informations de Christopher Reynolds à Montréal