Le programme d’échange de seringues dans les pénitenciers a du mal à s’implanter

David Fraser, La Presse Canadienne
Le programme d’échange de seringues dans les pénitenciers a du mal à s’implanter

OTTAWA — Le programme d’échange de seringues dans les pénitenciers fédéraux échoue en raison d’un très faible déploiement par le Service correctionnel et d’un manque d’amélioration depuis son introduction, il y a quatre ans, selon des militants de la lutte contre le VIH-sida.

Depuis la plus récente extension du programme, en 2019, les détenus de neuf des 43 pénitenciers fédéraux ont eu accès à du matériel stérile pour l’injection de drogues. L’été dernier, les autorités ont annoncé que ce programme serait mis en œuvre dans tout le pays.

Le Réseau juridique VIH a publié cette semaine un rapport qui conclut que la plupart des détenus n’ont toujours pas accès au programme, qui ne s’est pas étendu au-delà des neuf premiers pénitenciers. En juin dernier, seulement 53 détenus participaient à ce programme – sur près de 13 000 détenus sous responsabilité fédérale.

La codirectrice du Réseau juridique VIH, Sandra Ka Hon Chu, estime que les faibles taux de participation sont surtout attribuables aux multiples niveaux d’approbation institutionnelle et à la stigmatisation.

«De nombreuses personnes qui veulent accéder au programme — parce qu’il y en a, de l’injection de drogues dans les pénitenciers — ne peuvent pas y accéder en raison de multiples obstacles», a-t-elle expliqué.

Le gouvernement fédéral a déclaré qu’il s’était engagé à étendre le programme, mais que la COVID-19 avait retardé ses plans.

Une note d’information du 15 juin, préparée pour le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, indiquait que des consultations avaient eu lieu au début de 2020 pour étendre le programme à deux autres établissements, mais «à la suite de retards dus à la pandémie de COVID-19, un réengagement avec ces sites est nécessaire».

La note, obtenue grâce à une demande d’accès à l’information, indiquait également que le Service correctionnel du Canada préparerait des plans pour des sites supplémentaires à confirmer cet automne.

La porte-parole du Service correctionnel, Esme Bailey, a souligné dans un courriel que le ministère était toujours déterminé à offrir le programme dans d’autres établissements et que les consultations se poursuivaient.

Processus laborieux 

Pour les détenus, la participation à ce programme nécessite une approbation qui comprend une évaluation par une infirmière et une autre, sur la menace, approuvée par la direction du pénitencier. Aucune raison n’est fournie quant à la raison pour laquelle une demande reçoit ou non le feu vert.

Mme Ka Hon Chu soutient que ce mécanisme crée une «barrière extrêmement élevée» qui dissuade les gens de faire une demande.

L’étude du Réseau juridique VIH, réalisée avec l’aide de l’Université métropolitaine de Toronto, conclut que le processus d’évaluation est basé «sur la sécurité plutôt que sur le besoin clinique». 

On déplore aussi que le programme nécessite des inspections quotidiennes pour vérifier que l’équipement est utilisé correctement, «contrairement aux modèles de programmes et aux pratiques reconnues ailleurs dans le monde». 

Pas très confidentiel

Les participants reçoivent une trousse qui contient une seringue, un chauffoir, trois bouteilles d’eau, un sachet de vitamine C et des filtres. Les détenus doivent toujours garder la trousse visible dans leur cellule et consulter une infirmière lorsque des pièces de rechange sont nécessaires.

Or, Mme Ka Hon Chu souligne que les participants se «dévoilent» ainsi en tant que consommateurs de drogue et qu’ils risquent alors d’être stigmatisés par les autres détenus, le personnel et la Commission des libérations conditionnelles.

Elle note que l’une des préoccupations les plus courantes entendues par les chercheurs est que les participants peuvent se voir refuser l’accès à d’autres programmes.

Le rapport recommande de renforcer la confidentialité en cessant les inspections visuelles quotidiennes des trousses et en offrant des points de distribution plus discrets. Le rapport indiquait également qu’un manque de connaissances sur le programme affectait l’adhésion des participants.

Les partisans soutiennent qu’en l’absence de programmes adéquats, le risque d’infection par le VIH continuera d’augmenter parce que les détenus se tourneront vers des moyens non autorisés et dangereux pour consommer de la drogue.

«La réalité, c’est qu’il y a déjà beaucoup de matériel d’injection dans les prisons qui (n’est) tout simplement pas réglementé et qui n’est pas stérile», a rappelé Mme Ka Hon Chu.

«Prohibitif et répressif»

L’enquêteur correctionnel déclarait dans son dernier rapport annuel, rendu public l’été dernier, que le programme d’échange de seringues «reste un programme essentiellement en nom seulement», en raison de la faible participation des détenus.

Ivan Zinger, qui avait soulevé la même préoccupation dans des rapports précédents, a également déclaré que la stratégie antidrogue des services correctionnels nécessitait des réformes substantielles.

Il concluait que la culture du Service correctionnel en matière de possession et de consommation de drogues simples «reste enlisée dans un état d’esprit prohibitif et répressif».

«Le maintien d’une approche de tolérance zéro envers les drogues, qui repose sur des mesures de détection, de discipline et de répression toujours plus intrusives — fouilles à nu, fouilles des cavités corporelles, fouilles des cellules, inculpations, analyses d’urine — est un jeu coûteux aux rendements décroissants», écrivait l’enquêteur correctionnel dans son plus récent rapport.

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