Le nombre de profs non légalement qualifiés au Québec se chiffre par milliers

Joe Bongiorno, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Aux prises avec un manque de main-d’œuvre, le Québec compte de plus en plus sur les professeurs non légalement qualifiés dans le réseau de l’enseignement.

Un professeur non qualifié peut détenir un diplôme universitaire dans une discipline autre que l’enseignement ou même ne pas en avoir un.

Ils proviennent d’une grande diversité de domaines, mais ils ont tous une chose en commun: aucun n’a le brevet d’enseignement.

En décembre, le ministère de l’Éducation comptait 9184 enseignants non légalement qualifiés dans les écoles publiques de la province, une hausse de 3,5 % par rapport à mai 2024 et de 38 % par rapport à mai 2023. Ce nombre n’inclut pas les milliers d’enseignants suppléants qui n’ont pas de brevet d’enseignement non plus.

En 2023, la vérificatrice générale du Québec avait indiqué qu’au cours de l’année scolaire 2020-2021, le nombre d’enseignants non légalement qualifiés s’élevait à plus de 30 000, principalement des suppléants, soit plus du quart des enseignants.

Nicolas Prévost, le président de la Fédération québécoise des établissements d’enseignement, s’attend à ce que le nombre d’enseignants non légalement qualifiés continue d’augmenter au cours des prochaines années parce que le recrutement dans les programmes d’enseignement est en déclin et que de nombreux enseignants partiront à la retraite.

Geneviève Sirois, professeure en formation scolaire à Téluq, partage cette opinion. «Nous sommes maintenant très dépendants des enseignants non qualifiés», lance-t-elle. En 2015, on recensait environ 15 000 enseignants non légalement qualifiés, un chiffre qui a doublé en moins d’une décennie.

Prenant soin de ne pas placer tous les enseignants non légalement qualifiés dans le même bateau, Mme Sirois souligne qu’un professeur n’ayant pas reçu une formation peut influencer l’apprentissage des élèves.

«Imaginons seulement un élève de première année qui doit apprendre à lire et à écrire qui se retrouve avec un enseignant qui n’a aucune connaissance des principes didactiques de l’enseignement de l’écriture et de la lecture. On peut imaginer les impacts potentiels.»

Matthieu Théorêt est un enseignant non légalement qualifié âgé de 47 ans. Il a déjà signé deux contrats à long terme, mais il préfère être un suppléant. Les professeurs non qualifiés se font souvent assigner après le début de l’année scolaire sans avoir le temps de se préparer, déplore-t-il. Cela signifie que plusieurs d’entre eux dépendent des renseignements qu’ils obtiennent de leurs collègues.

M. Théorêt raconte que certains enseignants de l’école secondaire où il travaille l’ont aidé l’an dernier, mais ils étaient trop occupés ou fatigués pour le faire cette année. Il ne leur reproche pas. «Ils ont pris beaucoup de leur temps pour m’aider et aider les autres enseignants avant moi et ils sont fatigués», dit-il, avouant se sentir parfois comme un fardeau sur leurs épaules.

Cette fatigue ne se limite pas seulement aux enseignants, mais aussi aux secrétaires et aux autres membres du personnel de soutien. «Tout le monde doit faire sa part», croit-il.

La Pre Sirois mentionne que de nouveaux programmes universitaires ont été fondés à la demande de Québec pour accorder rapidement un brevet aux enseignants. Elle ajoute que le gouvernement accorde des autorisations temporaires aux étudiants qui s’inscrivent dans des programmes de formation.

Valérie Harmois, une candidate au doctorat à l’Université Laval qui étudie la réaction du ministère de l’Éducation au manque de personnel, déplore qu’il existe peu d’incitatifs pour convaincre les enseignants non qualifiés à obtenir un brevet. La demande est si grande, explique-t-elle, que les enseignants non légalement qualifiés peuvent obtenir du travail régulier et un salaire quasi identique à celui des professeurs qualifiés.

«Il y a peu d’avantages d’un point de vue financier à obtenir un brevet d’enseignement», dit-elle.

Dans une déclaration écrite, le ministère de l’Éducation dit que le gouvernement dépense des millions de dollars pour recruter et retenir des employés. Ainsi, 39,6 millions $ ont été consacrés pour rendre plus attirants les postes à temps partiel, 37 millions $ pour convaincre des enseignants à ne pas prendre leur retraite et 37 millions $ pour appuyer le personnel enseignant.

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
plus ancien
plus récent plus voté
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires