Le Conseil de la magistrature rejette les plaintes contre le juge Matthieu Poliquin

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Le Conseil de la magistrature rejette les plaintes contre le juge Matthieu Poliquin

MONTRÉAL — Le Conseil de la magistrature rejette les plaintes déposées contre le juge Matthieu Poliquin et ne lui imposera aucune sanction.

Le juge Poliquin est ce magistrat de la Cour du Québec qui a accordé une absolution conditionnelle à l’ingénieur Simon Houle en juin dernier après que celui-ci eut reconnu sa culpabilité à des accusations d’agression sexuelle et de voyeurisme pour des gestes posés en 2019.

Or, Simon Houle, qui avait aussi reconnu dans le cadre de son procès avoir posé un autre geste d’agression sexuelle en 2015 qui n’avait pas été judiciarisé, vient d’être accusé de bris de condition par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui en appelle de son absolution. 

La nouvelle accusation est reliée à une affaire survenue à Cuba dans les jours suivant son absolution, où une femme lui reprochait d’avoir posé des gestes de nature sexuelle à son endroit. L’acte d’accusation fait état d’un bris de condition, soit celle de ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite. Il devra comparaître au palais de justice de Saint-Jérôme le 2 décembre.

La décision du juge Poliquin, quant à elle,avait soulevé un tollé, non seulement en raison de l’absolution elle-même, mais surtout à cause des motifs invoqués par le juge pour l’accorder. Matthieu Poliquin estimait ainsi, en soutien à l’absolution, que l’agression sexuelle s’était déroulée «somme toute rapidement», que l’accusé avait bu et qu’il était «une personne de bonne moralité».

Le magistrat soulignait également qu’une condamnation «aurait à son égard des conséquences particulièrement négatives et disproportionnées, alors qu’il pourrait difficilement voyager à l’extérieur du pays, ce qui risquerait possiblement d’entraver sa carrière d’ingénieur».

La plainte initiale avait été déposée par l’auteure d’une pétition réclamant la révocation du magistrat, pétition qui avait recueilli près de 5000 signatures en une semaine. La Presse Canadienne avait réussi à confirmer que la plainte avait bel et bien été accueillie, le Conseil de la magistrature refusant de confirmer une information qui, selon ses règlements, était toujours confidentielle à ce moment.

Le Conseil n’est pas un tribunal d’appel

Dans sa décision, où le magistrat n’est pas nommé, le Conseil rappelle qu’il «n’est pas un organisme d’appel ou de révision et qu’il ne peut d’ailleurs exprimer quelque commentaire approbateur ou désapprobateur sur la justesse d’une décision rendue». Il souligne à cet effet que ce sera au DPCP de faire avancer le dossier, lui qui réclamait 18 mois d’emprisonnement pour le fautif et qui a porté la décision en appel. Le tribunal doit décider le 9 décembre prochain, s’il accepte d’entendre cet appel.

«Dans notre système de justice, le législateur confie aux tribunaux d’appel la tâche de corriger, s’il y a lieu, des erreurs de droit ou de fait commises par les juges de première instance», insiste le Conseil.

Dans sa décision datée du 17 novembre, le Conseil constate que le jugement avait été très largement médiatisé et note que «chacun est libre d’exprimer des opinions et des critiques sur les décisions des tribunaux» et que tous peuvent porter plainte au Conseil. Cependant, précise-t-il, «le grief doit viser expressément la conduite du juge, et non une décision à l’égard de laquelle on souhaite exprimer sa désapprobation. Or, les plaintes semblent ici concerner strictement le jugement rendu.»

Impact négatif du jugement

Il note par exemple que d’autres plaignants subséquents ont soulevé un potentiel impact négatif sur la confiance des citoyens envers le système judiciaire et sur le rétablissement et la dignité des victimes. Puis, une série de courriels soulevant une demi-douzaine d’éléments invoqués par le juge Poliquin pour absoudre Simon Houle qu’ils estiment inacceptables et méritant une destitution ou, à tout le moins, une sévère réprimande.

Cependant, écrit-on, «aucune plainte ne concerne la conduite du juge lors du déroulement de l’audience ayant conduit à cette décision.» Or, c’est seulement là, au niveau de manquements à la déontologie, que se situe le pouvoir d’intervenir du Conseil, qui compare son rôle à celui des comités de discipline des ordres professionnels.

Liberté d’expression des juges

Et tout comme les citoyens peuvent s’exprimer sur les décisions d’un tribunal, l’organisme rappelle que les juges eux-mêmes bénéficient aussi de la liberté d’expression, «un attribut essentiel de l’indépendance judiciaire décisionnelle de chacun d’eux» et ajoute qu’il ne doit pas décourager les juges «d’exprimer des opinions sincères, bien qu’impopulaires». 

Ainsi, en bout de ligne, «le Conseil de la magistrature constate que les plaintes examinées ne visent aucun manquement de nature déontologique du juge sur le plan de son comportement, mais allèguent plutôt qu’il aurait commis des erreurs dans son évaluation des faits d’un dossier ainsi que dans son analyse du droit et des facteurs ou critères pour déterminer la peine appropriée». 

«Ces reproches, poursuit-il, sont de la même nature que ceux contenus» dans l’appel du DPCP, qui soulève en appui à sa demande d’appel, sensiblement les mêmes propos du juge Poliquin que dénoncent les plaignants. 

Désapprobation jusqu’au ministre

Contrairement à l’habituelle discrétion affichée par un ministre de la Justice, l’actuel titulaire du poste, Simon Jolin-Barrette était sorti de sa réserve à l’époque, se disant «profondément choqué par la décision».

Une manifestation dénonçant le jugement avait également eu lieu dans les jours suivants devant le palais de justice de Montréal et une lettre ouverte signée par près d’une quarantaine d’ingénieurs, publiée quelques jours plus tard, venait dénoncer le fait que la profession de l’agresseur ait pu servir à atténuer sa sentence.

L’ingénieur Simon Houle avait perdu son emploi à la suite de la médiatisation de son dossier.

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