Le Canada bannit les chinoises Huawei et ZTE de ses réseaux mobiles de 5G

Jim Bronskill, La Presse Canadienne
Le Canada bannit les chinoises Huawei et ZTE de ses réseaux mobiles de 5G

OTTAWA — Le gouvernement libéral a annoncé jeudi qu’il excluait les fournisseurs chinois Huawei Technologies et ZTE de la mise en place de l’infrastructure des réseaux mobiles de prochaine génération au Canada.

Un porte-parole de l’ambassade de Chine au Canada a publié jeudi soir une déclaration affirmant que la décision canadienne a suscité un « fort mécontentement ».

La déclaration ajoute que le gouvernement chinois procédera à une évaluation complète et sérieuse de cette décision et prendra toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises.

Le développement des réseaux de 5G, ou cinquième génération, permettra aux utilisateurs d’avoir recours à des connexions plus rapides et à de vastes capacités pour les données, afin de répondre à la forte demande, alors que de plus en plus d’appareils — des casques de réalité virtuelle aux véhicules automobiles — sont reliés à internet.

Les conservateurs de l’opposition et d’autres critiques ont longtemps pressé les libéraux de refuser à Huawei un rôle dans la construction de l’infrastructure 5G du pays, affirmant que cela permettrait à Pékin d’espionner plus facilement les Canadiens.

Certains affirment que la participation de Huawei pourrait lui donner accès à un éventail d’informations numériques tirées de la façon, du moment et de l’endroit où les Canadiens utilisent des appareils connectés à internet.

À leur tour, selon la théorie avancée par ces critiques, les agences de sécurité chinoises pourraient forcer Huawei à leur transmettre les informations personnelles.

Huawei a fermement insisté sur le fait qu’il s’agit d’une entreprise profondément indépendante qui ne se livre dans l’espionnage pour personne, y compris Pékin.

ZTE est une entreprise technologique chinoise en partie détenue par l’État, spécialisée dans les télécommunications.

«Les entreprises de télécommunications qui exercent des activités au Canada ne seraient plus autorisées à utiliser les composantes ou les services désignés fournis par Huawei et ZTE», a mentionné dans un communiqué de presse, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

«De plus, les entreprises qui utilisent déjà des composantes dans leurs réseaux devraient cesser leur utilisation et les retirer», ajoute-t-il.

M. Champagne a déclaré jeudi lors d’une conférence de presse convoquée à la hâte que la décision faisait suite à un examen complet par les agences de sécurité du Canada, en consultation avec les alliés les plus proches d’Ottawa.

«Notre gouvernement protégera toujours la sécurité des Canadiens et prendra toutes les mesures nécessaires pour protéger notre infrastructure essentielle de télécommunications», indique-t-il.

Trois des quatre partenaires du Canada dans l’alliance de partage de renseignements Five Eyes — les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie — ont déjà pris des mesures décisives pour limiter l’utilisation de l’équipement Huawei dans les réseaux 5G respectifs de leurs pays.

La Nouvelle-Zélande, quatrième partenaire dans l’alliance, a rejeté la proposition d’une société de télécommunications qui avait recours à la technologie 5G de Huawei en invoquant des préoccupations de sécurité nationale, mais elle a affirmé en 2020 qu’elle ne bannirait pas catégoriquement un fournisseur en particulier.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a également affirmé que le gouvernement libéral déposerait un projet de loi pour renforcer davantage le système de télécommunications du Canada et créer un cadre pour protéger la sécurité nationale.

La réplique de l’ambassade de Chine suggère que les soi-disant préoccupations de sécurité d’Ottawa n’étaient qu’un prétexte pour la manipulation politique, ajoutant que le Canada travaillait avec les États-Unis pour réprimer les entreprises chinoises. La déclaration poursuit en disant que l’image internationale du Canada sera certainement endommagée par la décision.

Supprimer les services existants

Le gouvernement libéral et les fonctionnaires ont été interrogés à plusieurs reprises au cours des dernières années sur les intentions d’Ottawa en matière de 5G.

«Cela n’a jamais été une course, a déclaré M. Champagne jeudi. Il s’agit de prendre la bonne décision, de fournir un cadre pour protéger notre infrastructure.»

Les entreprises de télécommunications canadiennes ont géré l’incertitude en travaillant avec le suédois Ericsson, le finlandais Nokia et le sud-coréen Samsung pour les aider à construire leurs réseaux 5G.

Rogers Communications, qui s’associe à Ericsson, a déclaré que la décision de jeudi n’affecterait pas ses plans.

Malgré tout, la politique fédérale interdit l’utilisation des nouveaux équipements 5G et des services gérés de Huawei et ZTE. Les équipements ou services 5G existants doivent être supprimés ou résiliés d’ici le 28 juin 2024.

Toute utilisation des nouveaux équipements 4G et des services gérés des deux sociétés sera également interdite, et les équipements existants devront être retirés d’ici le 31 décembre 2027.

Le gouvernement prévoit de présenter prochainement une législation pour mettre officiellement en œuvre les mesures.

Le vice-président des affaires générales de Huawei Canada, Alykhan Velshi, croit que le gouvernement voulait une manchette indiquant qu’il avait interdit à l’entreprise la 5G. «Je pense qu’ils ont eu leur titre», a-t-il déclaré.

«Mais cela n’a pas changé le fait qu’il y a encore une grande quantité d’équipements Huawei dans le réseau maintenant, il y en aura dans un avenir prévisible, et le mécanisme par lequel ils proposent de mettre en œuvre cette interdiction est un texte législatif qui, non seulement n’a pas été adopté, il n’a même pas été introduit», a-t-il soutenu.

Jeudi, les conservateurs ont reproché aux libéraux d’avoir pris autant de temps.

«Le retard de Justin Trudeau à interdire Huawei a porté atteinte à la confiance de nos alliés dans le Canada en tant qu’allié fiable et cela a porté atteinte à la confiance du public quant à la capacité du gouvernement de défendre l’intérêt national», ont affirmé les députés conservateurs Raquel Dancho et Gérard Deltell dans un communiqué.

Les néo-démocrates abondent dans le même sens, soulignant que cela se faisait attendre depuis longtemps.

«Pendant cette période, le marché national des télécommunications a également été gravement touché, car ils ont été laissés dans l’ignorance quant à l’avenir de la 5G au Canada», a dit le porte-parole du NPD en matière d’innovation, Brian Masse, dans une déclaration écrite.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a déclaré jeudi que les libéraux déposeraient un projet de loi supplémentaire pour protéger les infrastructures essentielles dans les secteurs des finances, des télécommunications, de l’énergie et des transports.

«Cette nouvelle législation établira un cadre pour mieux protéger les systèmes vitaux pour notre sécurité nationale et donnera au gouvernement un nouvel outil pour répondre aux cybermenaces émergentes», mentionne-t-il.

«Les deux Michael»

Beaucoup pensent que le gouvernement a retardé sa décision sur la 5G en raison du différend entourant l’emprisonnement en Chine de Michael Spavor et Michael Kovrig à la suite de l’arrestation par la GRC de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou.

Les deux Canadiens ont été arrêtés, emprisonnés, inculpés et finalement reconnus coupables d’espionnage en relation apparente avec l’arrestation de Meng Wanzhou le 1er décembre 2018, en vertu d’un mandat d’extradition américain. Le gouvernement libéral n’était clairement pas intéressé à prendre une décision sur la 5G qui mettrait en colère Pékin et créerait un risque supplémentaire pour les deux hommes.

MM. Kovrig et Spavor sont restés dans des prisons chinoises séparées jusqu’au 24 septembre 2021, date à laquelle un accord négocié par les États-Unis a conduit à leur liberté après que le département américain de la Justice a abandonné son dossier d’extradition contre Mme Wanzhou. Elle est rentrée en Chine depuis Vancouver le même jour que «les deux Michael» ont été libérés.

Tout au long de l’affaire, le gouvernement Trudeau avait subi des pressions de la part de l’administration Trump pour interdire Huawei, car il considérait l’entreprise chinoise comme une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. L’administration Obama a signalé pour la première fois l’entreprise comme un risque pour la sécurité il y a plus de dix ans. Le président Joe Biden a maintenu la posture agressive de son pays envers la Chine.

En 2017, l’administration de Donald Trump a signalé la loi chinoise sur le renseignement national comme un problème majeur de sécurité 5G, affirmant qu’elle permettrait aux dirigeants communistes chinois d’obliger des entreprises telles que Huawei à effectuer du cyberespionnage au nom de Pékin.

Les préoccupations en matière de sécurité comprenaient des allégations selon lesquelles l’équipement Huawei contenait de soi-disant portes qui pourraient donner à Pékin la possibilité de s’immiscer dans le réseau électrique américain, le système bancaire ou d’autres infrastructures clés.

Huawei et le gouvernement chinois ont vigoureusement nié les accusations, affirmant que l’entreprise ne représentait aucune menace pour la sécurité. Ils ont soutenu que les États-Unis essayaient simplement d’arrêter la montée en puissance de la première entreprise de télécommunications chinoise.

Note aux lecteurs: Ceci est une version corrigée. Une version précédente indiquait que les quatre partenaires du Canada dans l’alliance de partage de renseignements Five Eyes — les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande — ont déjà interdit l’utilisation de l’équipement Huawei dans leurs réseaux 5G. En fait, la Nouvelle-Zélande a rejeté un projet qui aurait utilisé la technologie de Huawei, mais n’a pas banni catégoriquement le fournisseur chinois.

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