OTTAWA — Un document récemment publié montre que les ministres du cabinet fédéral ont été avertis en mai 2022 que des États hostiles ciblaient les intérêts stratégiques du Canada, l’intégrité des institutions canadiennes et des processus démocratiques, ainsi que la capacité du public à exercer les droits et libertés protégés par la Charte.
Le document est un résumé de l’un des quatre mémorandums au Cabinet, généralement considérés comme des documents confidentiels, qui ont été fournis à une commission d’enquête fédérale sur l’ingérence étrangère dans le cadre de son mandat.
L’enquête a révélé lundi qu’à la suite de discussions approfondies, le gouvernement a accepté la divulgation publique des résumés des mémos. Tous les quatre ont été présentés en preuve après une audience de la commission lundi.
Le résumé du mémorandum au Cabinet de mai 2022, connu sous le nom de MC, indique que des menaces hostiles émanaient d’États tels que la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Iran.
«Bien que ces menaces n’aient pas été décrites comme nouvelles pour le Canada, le MC a noté que la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement avait observé une augmentation du volume et de la complexité de ces menaces au cours des dernières années», indique le résumé.
Le gouvernement a affirmé que le Canada disposait d’«outils et de leviers» pour contrer les dangers, mais que ces outils nécessitaient une meilleure coordination et, dans certains cas, une modernisation pour faire face à «un environnement de menace de plus en plus dynamique et complexe».
Le mémorandum demandait d’éventuelles améliorations à la législation pour lutter contre l’ingérence étrangère, notamment la création d’un registre des agents étrangers, une recommandation adoptée par les libéraux. Le projet de loi C-70, qui contient une série de nouvelles mesures, dont un tel registre, a reçu la sanction royale plus tôt cette année.
Le gouvernement a également déposé lundi des résumés des mémorandums au Cabinet de 2018, 2019 et 2021.
Le mémorandum de 2018 a jeté les bases de conventions visant à protéger les élections générales, notamment un protocole pour répondre aux incidents d’ingérence et déterminer si, quand et comment communiquer avec les Canadiens au sujet de l’ingérence dans une campagne.
La soumission d’octobre 2018 aux ministres demandait également au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de faire des «investissements soutenus» dans sa capacité à enquêter, à analyser et à fournir des conseils sur les activités étrangères ciblant les institutions démocratiques du Canada. Le SCRS devrait sensibiliser les principaux intervenants impliqués dans le processus démocratique aux menaces qui pèsent sur eux.
Le mémorandum stipule également que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) devrait former une équipe chargée d’enquêter sur les activités d’ingérence étrangère.
Les mémorandums en question avaient déjà été remis à David Johnston, qui a enquêté sur l’ingérence étrangère l’année dernière en tant que rapporteur spécial du gouvernement.
La commission d’enquête a déclaré lundi que le gouvernement, en plus d’avoir consenti à la publication des résumés, avait également élargi à deux reprises l’accès de la commission aux secrets du Cabinet.
La commission d’enquête a obtenu un degré extraordinaire d’accès à des documents classifiés et à des informations confidentielles du Cabinet, a indiqué la commissaire Marie-Josée Hogue.
«Ces informations m’aideront à formuler des recommandations qui aideront à préserver l’intégrité des processus électoraux et des institutions démocratiques du Canada et à renforcer la confiance des Canadiens dans leur démocratie.»
Détecter et contrer les ingérences
Les dernières audiences de la commission portent sur la capacité des institutions à détecter et à contrer les ingérences étrangères.
Lundi, des employés actuels et anciens des secrétariats du Bureau du Conseil privé chargés des questions de sécurité et de renseignement et de l’évaluation de diverses menaces ont témoigné devant la commission d’enquête.
Un rapport de novembre 2023 déposé lors de l’audience indiquait que la structure de gouvernance de la sécurité nationale et du renseignement du Canada n’était «pas organisée de manière optimale ou efficace».
Il indiquait qu’il y avait un chevauchement dans la composition et les mandats des comités composés de hauts fonctionnaires, ainsi qu’une duplication des discussions entre plusieurs comités.
Le rapport d’information, préparé pour le conseiller adjoint à la sécurité nationale et au renseignement, concluait qu’il y avait trop de réunions, avec «pas assez d’effet».
Il notait un suivi incohérent des points ainsi qu’un flux d’informations irrégulier vers les niveaux inférieurs, semant la confusion et «entravant le travail».
Nabih Eldebs, qui supervise les quatre directions du secrétariat à la sécurité et au renseignement, a noté que les sous-ministres étaient censés assister à une « pléthore de comités » sur les questions de sécurité.
«Cela fait que (les sous-ministres) sont toujours en réunion et ne s’engagent pas dans d’autres choses», a-t-il dit à l’enquête.
M. Eldebs a déclaré qu’il espérait qu’une nouvelle structure serait finalisée dans les semaines à venir.