Google talonné par les élus pour son blocage de nouvelles de sa plateforme

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne
Google talonné par les élus pour son blocage de nouvelles de sa plateforme

OTTAWA — Les représentants de Google Canada ont essuyé les vives critiques des élus du comité du patrimoine, vendredi, en raison de la décision du «géant du web» de limiter l’accès à des contenus journalistiques sur sa plateforme pour certains Canadiens.

L’entreprise numérique a décidé d’effectuer ce blocage en réaction au projet de loi C-18 visant à obliger les géants du numérique tels que Google et Meta, qui possède Facebook et Instagram, à négocier des accords pour indemniser les entreprises de médias canadiennes pour l’affichage ou la fourniture de liens vers leur contenu d’actualités.

Google affirme que cet accès limité est dû à des tests devant s’échelonner sur cinq semaines.

«Est-ce que vous allez réaliser que ces manœuvres, sous des apparences de tests, sont en fait des moyens de pression qui sont déloyaux et que vous devriez faire marche arrière? (….) N’êtes-vous pas d’accord?», a lancé le bloquiste Martin Champoux en questionnant la vice-présidente de Google Canada, Sabrina Geremia.

La présidente du comité, la libérale Hedy Fry, a rappelé à l’ordre la dirigeante de l’entreprise et son collègue l’accompagnant virtuellement, Jason Kee, gestionnaire des politiques publiques pour Google Canada, puisqu’ils évitaient de répondre aux questions, à son avis.

Ce constat de Mme Fry a été partagé par les autres membres du comité. Le conservateur Kevin Waugh a signalé qu’il était d’accord, ajoutant que Google a selon lui mis de côté «le droit démocratique» des Canadiens. «C’est vraiment dégoûtant ce que nous voyons à ce comité», a renchéri le libéral Chris Bittle, se disant exaspéré par les déclarations de Mme Geremia, qui, à son avis, ne répondait nullement aux questions posées. 

Au milieu de leur témoignage, Mme Geremia et M. Kee ont dû prêter serment pour certifier qu’ils allaient dire la vérité pour le restant de leur comparution au comité parlementaire. La députée libérale Lisa Hepfner a demandé que ce serment soit imposé, requête aussitôt approuvée par les autres députés. 

Les élus ont par ailleurs exprimé leur frustration face aux documents jusqu’à présent reçus de la part de Google pour permettre au comité de mener son travail. 

La motion adoptée pour déclencher l’examen parlementaire exige que le géant du web fournisse aux élus fédéraux des copies de toute «communication interne ou externe incluant, mais ne se limitant pas aux courriels et messages textes (…) en lien avec les actions prévues ou les options considérées relativement au projet de loi canadien C-18». 

Le député libéral Anthony Housefather a déploré que les documents reçus jusqu’à présent soient «selon sa compréhension» tous déjà accessibles publiquement. Le bloquiste Martin Champoux a eu la même impression.

La néo-démocrate Lindsay Mathyssen a invité Mme Geremia à fournir une échéance pour s’assurer que le comité reçoive les informations réclamées rapidement. La vice-présidente de Google Canada a refusé de fournir une date à laquelle cela sera fait.

«Est-ce normal de faire de la censure?», a aussi lancé Mme Mathyssen au sujet du blocage effectué par la plateforme numérique.

Mme Geremia a répété, à plusieurs reprises, que les nouvelles demeuraient accessibles à tous les Canadiens par l’entremise de leurs navigateurs web et applications mobiles. Elle a souligné que le moteur de recherche de Google n’est pas l’unique façon d’accéder à des contenus journalistiques.

Aux yeux du président et directeur général de Médias d’Info Canada, Paul Deegan, il est clair que le blocage de Google est un «abus de sa position de dominance dans les recherches en ligne». «Cette action unilatérale musclée ne sert qu’à souligner le déséquilibre de pouvoir significatif qui existe entre les éditeurs et les plateformes», a-t-il commenté dans une déclaration écrite en anglais.

En ouverture de leur témoignage, Mme Geremia et M. Kee ont défendu la décision de leur entreprise de limiter l’accès à des contenus journalistiques sur sa plateforme pour certains Canadiens.

«Nous voulons inclure les nouvelles dans nos produits. (…) Cependant, le projet de loi C-18 créerait une demande déraisonnable de payer les éditeurs pour avoir la possibilité de fournir des liens vers leurs sites web, ce qui envoie un trafic précieux et gratuit à ces éditeurs», a fait valoir M. Kee. Il a soutenu que les tests menés par Google, qui doivent prendre fin le 16 mars, répondent au «devoir de diligence» de l’entreprise, «de la façon la plus responsable possible».  

M. Kee a insisté qu’il s’agit de tests qui sont menés et qu’aucune décision finale n’a été prise. «Étant donné que de nombreux détails importants restent incertains, nous effectuons ces tests pour obtenir les informations dont nous avons besoin pour évaluer les réponses potentielles au projet de loi C-18 et pour évaluer comment les changements potentiels auront un impact sur les Canadiens qui utilisent nos produits», plaide Google Canada.

Mme Geremia a déclaré que le projet de loi C-18 «crée un dangereux précédent qui menace les fondements mêmes du web ouvert et de la libre circulation de l’information».

Il y a quelques semaines, un porte-parole de Google a confirmé à La Presse Canadienne que l’entreprise allait limiter l’accès aux nouvelles sur son moteur de recherche à moins de 4 % de ses utilisateurs canadiens. Il a indiqué que cela visait à répondre au projet de loi C-18, présentement à l’étude au Sénat.

Cette tactique de Google a aussitôt suscité l’ire de l’ensemble des principaux partis représentés à la Chambre des communes,et ce, même si les conservateurs s’opposent au projet de loi C-18.

La semaine dernière, les formations politiques se sont unies en comité pour assigner à comparaître des hauts dirigeants de Google, y compris le président et directeur général de la société, Sundar Pichai.

Ce dernier a refusé de comparaître, absence qui a été déplorée et soulignée à grands traits par bien des députés vendredi.

Meta avait aussi menacé, par le passé, de bloquer des contenus journalistiques de son réseau social Facebook en Australie, quand le pays a mis de l’avant une législation similaire à celle que le Canada entend adopter. L’entreprise avait finalement rétropédalé.

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