MONTRÉAL — Les étudiants sont souvent des proches aidants «invisibles», mais ils sont pourtant nombreux. Une récente étude de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) indique que 21 % des étudiants postsecondaires soutiennent un proche au Québec.
«C’est très élevé», commente la chercheuse Aude Villatte, professeure à l’unité de formation et de recherche de psychologie de l’Université de Toulouse Jean Jaurès, en France. Toutefois, ce résultat ne la surprend pas puisqu’un taux similaire a été constaté ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, en France et en Australie.
Le rôle de proche aidant peut commencer très tôt dans la vie d’un jeune, selon l’étude réalisée par le Laboratoire de recherche et d’actions pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale et leurs proches, qui est affilié à l’UQO.
En moyenne, les jeunes signalent avoir commencé à aider un proche à l’âge de 10 ans, et l’ampleur des responsabilités tend à augmenter avec l’âge.
«Il y a un certain nombre de jeunes qui ont répondu au questionnaire, qui ont actuellement entre 18 et 30 ans, et qui disent jouer un rôle de proche aidant depuis plus de 10 ans. Et les travaux à l’international montrent que certains enfants à partir de l’âge de 5 ans joueraient déjà un rôle de proche aidant», a indiqué Mme Villatte.
Les données de l’étude sont basées sur les étudiants postsecondaires, mais la collecte se poursuit dans les prochains mois sur les élèves du secondaire.
Les jeunes peuvent apporter une aide très diversifiée pour appuyer la personne aidée. Par exemple, aider aux tâches domestiques; faire les courses et préparer les repas; faire prendre un bain ou aider la personne à aller aux toilettes; travailler davantage dans son emploi pour appuyer financièrement la cellule familiale; apporter un soutien émotionnel ou psychologique.
Les jeunes qui assument un rôle d’aidant soutiennent habituellement un parent atteint d’un trouble de santé mentale, d’une maladie physique, d’une invalidité ou de troubles liés au vieillissement.
Jusqu’à 50 heures par semaine consacrées au proche
Mme Villatte, qui a été professeure associée au département de psychoéducation et de psychologie de l’UQO pendant dix ans, qualifie les étudiants proches aidants d’«invisibles» puisqu’ils ont de la difficulté à reconnaître qu’ils sont proches aidants.
«Eux-mêmes ne se reconnaissent pas et quand ils se reconnaissent, ils peuvent avoir de la difficulté à en parler par peur des jugements ou des conséquences sur la famille. Il y a des jeunes qui craignent beaucoup ce qui pourrait advenir en termes de placement si la situation familiale était connue à l’extérieur», explique Mme Villatte.
Les données montrent qu’un jeune sur trois consacre de 11 à 20 heures par semaine à soutenir un ou plusieurs proches et cela peut même grimper jusqu’à 50 heures par semaine.
Bien que le fait d’aider un proche apporte certains avantages, comme le sentiment d’être utile, il expose les jeunes à des difficultés dans leur parcours académique et peut aussi impacter leur adaptation scolaire.
Plusieurs étudiants vont interrompre leurs études en raison de la difficulté à concilier leur responsabilité comme proche aidant et les exigences scolaires, rapporte Mme Villatte.
Sur le plan de la santé, les étudiants proches aidants sont aussi plus susceptibles de développer des symptômes anxieux, dépressifs et d’avoir un moindre niveau de bien-être. On observe aussi plus de fatigue et de maux physiques comme des maux de dos et maux de tête.
Plus la personne proche aidante est jeune, plus ces conséquences ont de chances d’arriver, affirme Mme Villatte. C’est pourquoi il est important d’identifier tôt les élèves qui sont proches aidants. Or, les repérer est difficile à faire.
«Les adultes n’ont pas forcément confiance que des jeunes enfants peuvent jouer ce rôle-là, donc il y a vraiment un gros travail à faire en termes d’aide à l’auto-identification et à l’identification, notamment par le personnel scolaire qui serait assez bien placé pour repérer les premiers signes d’aidant chez les jeunes», fait valoir Mme Villatte.
Avec son équipe de recherche, ils ont développé un premier outil qui permet d’identifier les jeunes du primaire qui jouent un rôle de proche aidant.
«C’est compliqué de les identifier, mais encore plus probablement quand ces jeunes sont d’âge primaire. Ils ont plus de mal à comprendre le concept de proche aidant et à rapporter ce qui se passe à la maison», précise-t-elle.
Pour appuyer les jeunes proches aidants, ces derniers estiment que la première chose à faire serait d’accroître l’accès aux services offerts.
Les jeunes sondés ont affirmé que si leur proche avait suffisamment d’aide, notamment pour des services de santé mentale, ils auraient moins de charges de travail à endosser pour aider leur proche. Ils souhaitent aussi plus d’accommodements à l’école, par exemple d’accorder plus de flexibilité dans les travaux scolaires.
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