Complications après une chirurgie intestinale: le microbiote est mis en cause

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Complications après une chirurgie intestinale: le microbiote est mis en cause

MONTRÉAL — Les bactéries qui résident dans l’intestin interfèrent parfois avec la guérison des patients qui ont été opérés pour un cancer colorectal, ont constaté des chercheurs montréalais, une découverte qui pourrait permettre d’améliorer grandement le pronostic de ces patients.

Entre 5 % et 15 % des patients dont une portion de l’intestin a été retirée pour combattre leur cancer présenteront une fuite à l’endroit de la nouvelle connexion intestinale, une complication importante qui pourra avoir des répercussions graves sur leur santé et sur la suite de leur traitement.

Les docteurs Carole Richard et Roy Hajjar, et l’immunologiste Manuela Santos, tous du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, ont découvert un lien direct entre ces fuites et la présence de certaines bactéries dans l’intestin du patient.

Ces fuites persistaient même si, au cours des dernières années, on a réalisé des progrès très importants dans la chirurgie du cancer colorectal, a expliqué le docteur Hajjar.

«Malgré ça, certains patients présentaient quand même des complications très sévères, dont la fuite anastomotique en termes techniques, après l’opération, pour des raisons qu’on ignorait», a-t-il dit.

Les chercheurs ont donc voulu savoir s’il existait un lien causal entre le microbiote des patients et leur guérison après la chirurgie. «Ça faisait juste du sens d’aller investiguer la relation entre le microbiote puis la guérison, parce que la niche du microbiote est très riche au niveau du côlon et ça reste une chirurgie au niveau du côlon. Et c’est de là qu’on a commencé», a ajouté la docteure Richard.

Certains patients qui devaient être opérés ont accepté de faire un don de selles avant leur chirurgie, ce qui a permis de constituer deux groupes: celui des patients qui guérissaient bien et celui des patients qui présentaient ensuite des complications.

Des expériences sur des souris ont ensuite permis de démontrer que l’effet plutôt proinflammatoire de la bactérie Alistipes onderdonkii kh 33 augmentait le risque de fuites, tandis que l’effet anti-inflammatoire de la bactérie Parabacteroides goldsteinii kh 35 favorisait la cicatrisation.

L’effet bénéfique de la seconde semblait même atténuer l’effet néfaste de la première, et un équilibre entre les deux types de bactéries est «indispensable» pour favoriser la cicatrisation de la barrière intestinale, a-t-on expliqué.

L’installation d’une infection pourrait empêcher le patient de recevoir dans les délais prescrits la chimiothérapie dont il a besoin après sa chirurgie. Elle pourrait aussi le laisser avec une fonction intestinale réduite pour le reste de sa vie, a dit la docteure Richard.

«Ce qui est original dans cette étude, c’est qu’il ne s’agit pas d’une maladie, il s’agit d’une chirurgie, a dit la chercheuse Manuela Santos, qui est professeure à l’Université de Montréal et l’auteure principale de l’étude. C’est ça qui nous a permis de dire que c’est vraiment le microbiote qui est en cause. On a prouvé (le lien de causalité), et c’est l’étape la plus difficile.»

Cette découverte, ont indiqué les chercheurs, ouvre toute grande la porte à une éventuelle intervention pour s’assurer que les «bonnes» bactéries sont présentes dans l’intestin du patient, de manière à minimiser le risque de fuite après la chirurgie et même potentiellement de récidive du cancer.

Une étude pilote qui va dans ce sens devrait d’ailleurs débuter sous peu. On tentera aussi de déterminer si le même mécanisme pourrait être en jeu lors d’autres chirurgies du système gastro-intestinal ou en présence de maladies inflammatoires comme la colite ulcéreuse ou la maladie de Crohn qui pourront nécessiter une chirurgie.

Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans les patients qui ont accepté de faire don de leurs selles, a rappelé la docteure Richard.

«C’est vraiment un continuum, a-t-elle dit. Ça part des patients et ça retourne aux patients.»

Environ 25 000 Canadiens reçoivent chaque année un diagnostic de cancer colorectal, ce qui en fait le troisième cancer le plus fréquent au pays et le deuxième en termes de mortalité.

Les conclusions de cette étude sont publiées par le prestigieux journal médical Gut.

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