Guerre en Ukraine: la Russie réduirait ses opérations militaires près de Kyiv

Nebi Qena et Yuras Karmnau, La Presse Canadienne
Guerre en Ukraine: la Russie réduirait ses opérations militaires près de Kyiv

KYIV, Ukraine — La Russie a annoncé mardi qu’elle réduirait considérablement les opérations militaires près de la capitale ukrainienne et d’une ville au nord, alors que les grandes lignes d’un éventuel accord pour mettre fin à la guerre sont apparues lors de la dernière série de pourparlers.

Mais les responsables militaires ukrainiens ont dit qu’ils se méfiaient de ce retrait annoncé par la Russie.

«Il y a des indications que les forces russes se regroupent pour concentrer leurs efforts sur l’est de l’Ukraine», a déclaré mardi l’état-major ukrainien dans un communiqué. 

«En même temps, le soi-disant « retrait des troupes » est très probablement une rotation d’unités individuelles et vise à induire en erreur les dirigeants militaires ukrainiens», en créant l’idée fausse que les Russes ont décidé de ne pas essayer d’encercler Kyiv, soutient-il. 

Par ailleurs, l’ambassadeur d’Ukraine à l’ONU, Sergiy Kyslytsya, a indiqué mardi au Conseil de sécurité de l’ONU que «la démilitarisation de la Russie est bien entamée».

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, les forces russes ont perdu plus de 17 000 militaires, plus de 1700 véhicules blindés et près de 600 chars, a avancé M. Kyslytsya.

Il a ajouté que la Russie avait aussi perdu 300 systèmes d’artillerie, 127 avions et 129 hélicoptères, près de 100 systèmes de lance-roquettes, 54 systèmes de défense aérienne et sept navires.

Selon M. Kyslytsya, c’est «un coup sans précédent pour Moscou, où le nombre de pertes soviétiques en Afghanistan est pâle en comparaison».

Au milieu des pourparlers, le vice-ministre russe de la Défense, Alexander Fomine, a déclaré que Moscou avait décidé de «fondamentalement (…) réduire l’activité militaire en direction de Kyiv et de Tchernihiv» pour «accroître la confiance mutuelle et créer les conditions de nouvelles négociations».

Il n’a pas immédiatement précisé ce que cela signifierait concrètement.

L’annonce a été accueillie avec scepticisme par les États-Unis et d’autres.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré qu’on ne pouvait pas faire confiance à la Russie. Bien que les signaux des pourparlers soient «positifs», ils «ne peuvent pas faire taire les explosions d’obus russes», a-t-il déclaré dans une adresse vidéo.

Selon lui, ce sont les troupes ukrainiennes qui ont forcé la main à la Russie, ajoutant que «nous ne devrions pas baisser la garde», car l’armée de l’invasion «a encore un grand potentiel pour continuer les attaques contre notre pays».

L’Ukraine poursuivra les négociations, a-t-il dit, mais les responsables ne font pas confiance à la parole du pays qui continue de «se battre pour nous détruire».

La délégation ukrainienne présente à la réunion, tenue à Istanbul, a établi un cadre dans lequel le pays se déclarerait neutre et que sa sécurité serait garantie par un éventail d’autres nations.

La réaction publique de Moscou a été positive et les négociations devraient reprendre mercredi, cinq semaines après ce qui s’est transformé en une guerre d’usure sanglante, avec des milliers de morts et près de quatre millions d’Ukrainiens fuyant le pays.

Objectif revu

Alors que Moscou a décrit la réduction de ses opérations militaires comme un geste de bonne volonté, ses troupes au sol se sont embourbées et ont subi de lourdes pertes dans leur tentative de s’emparer de Kyiv et d’autres villes. 

La semaine dernière et de nouveau mardi, le Kremlin a semblé revoir à la baisse ses objectifs de guerre, affirmant que son «but principal» était désormais de prendre le contrôle de la région majoritairement russophone du Donbass, dans l’est de l’Ukraine.

Le président américain Joe Biden a demandé si l’annonce russe était un signe de progrès dans les pourparlers ou une tentative de Moscou de gagner du temps pour poursuivre son assaut. 

«Nous verrons. Je n’y vois rien tant que je n’ai pas vu quelles sont leurs actions».

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a suggéré que les indications russes d’un recul pourraient être une tentative de Moscou de «tromper les gens et de détourner l’attention».

Ce ne serait pas la première fois. Peu de temps avant l’invasion, l’armée russe avait annoncé que certaines unités chargeaient du matériel sur des wagons et se préparaient à retourner à leurs bases après avoir terminé leurs exercices. À l’époque, Vladimir Poutine manifestait son intérêt pour la diplomatie. Mais 10 jours plus tard, la Russie déclenchait la guerre.

Les responsables occidentaux affirment que Moscou renforce désormais ses troupes dans le Donbass dans le but d’encercler les forces ukrainiennes. Le siège meurtrier de la Russie dans le sud se poursuit, avec des civils piégés dans les ruines de Marioupol et d’autres villes bombardées.

«Il y a ce que la Russie dit et il y a ce que la Russie fait, et nous nous concentrons sur ce dernier, a soutenu le secrétaire Blinken au Maroc. Et ce que la Russie est en train de faire, c’est la brutalisation continue de l’Ukraine.»

Pendant que les négociateurs se réunissaient, les forces du président russe Vladimir Poutine ont creusé un trou béant dans un bâtiment de l’administration gouvernementale de neuf étages lors d’une frappe sur la ville portuaire du sud de Mykolaïv, tuant au moins 12 personnes, ont annoncé les services d’urgence. La recherche d’autres corps dans les décombres s’est poursuivie.

«C’est terrible. Ils ont attendu que les gens aillent travailler» avant de frapper le bâtiment, a déclaré le gouverneur régional Vitaliy Kim. 

«J’ai trop dormi. J’ai de la chance. »

Repositionnement des soldats?

Le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a mentionné que les États-Unis avaient détecté un petit nombre de forces terrestres russes s’éloignant de la région de Kyiv, mais cela semblait être un repositionnement des soldats, «pas un véritable retrait».

Il était trop tôt pour dire quelle pourrait être l’ampleur des mouvements russes ou à quel endroit les troupes seront repositionnées, a-t-il précisé. 

«Cela ne signifie pas que la menace contre Kyiv est terminée. Ils peuvent encore infliger une brutalité massive au pays, y compris à Kyiv», a fait valoir M. Kirby indiquant que les frappes aériennes russes contre la capitale se poursuivaient.

Aux yeux de Rob Lee, un expert militaire à l’Institut de recherche sur la politique étrangère basé aux États-Unis, les déplacements des Russes ressembleraient plutôt à «une reconnaissance de la situation autour de Kyiv où l’avance de la Russie est bloquée depuis des semaines et les forces ukrainiennes ont eu des succès récents».

«La Russie n’a pas les forces pour encercler la ville», a-t-il écrit sur Twitter.

Les demandes de l’Ukraine

La réunion d’Istanbul représentait la première fois où les négociateurs de la Russie et de l’Ukraine se parlaient face à face en deux semaines. Des pourparlers antérieurs ont eu lieu en personne en Biélorussie ou par vidéo.

Le Kremlin a toujours exigé que l’Ukraine abandonne tout espoir de rejoindre l’OTAN.

La délégation ukrainienne a proposé un cadre détaillé pour un accord de paix en vertu duquel la sécurité d’une Ukraine neutre serait garantie par un groupe de pays tiers, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Turquie, la Chine et la Pologne, dans une entente similaire à celle de l’OTAN, soit «une attaque contre un membre de l’Alliance est une attaque contre tous».

L’Ukraine a déclaré qu’elle serait également disposée à tenir des pourparlers sur une période de 15 ans sur l’avenir de la péninsule de Crimée, saisie par la Russie en 2014.

Vladimir Medinsky, chef de la délégation russe, a affirmé à la télévision russe que les propositions ukrainiennes sont une «étape pour nous rencontrer à mi-chemin, un fait clairement positif».

Il a prévenu que les parties sont encore loin de parvenir à un accord. 

«Nous savons maintenant comment aller plus loin vers un compromis. Nous ne faisons pas que marquer le pas dans les pourparlers», a déclaré M. Medinsky. 

Les Ukrainiens gagnent du terrain

Au cours des derniers jours, les forces ukrainiennes ont lancé des contre-attaques et récupéré du terrain à la périphérie de Kyiv et dans d’autres régions.

Des soldats ukrainiens se sont rassemblés dans une tranchée pour prendre des photos avec le colonel général Oleksandr Syrskyi, qui a déclaré que l’Ukraine avait repris le contrôle d’une grande majorité d’Irpin, une banlieue importante au nord-ouest de la capitale qui a connu de violents combats.

«Nous défendons notre patrie parce que nous avons un moral très élevé, a témoigné M. Syrskyi, le commandant en charge de la défense de Kyiv. Et parce que nous voulons gagner.»

Les forces ukrainiennes ont également repris Trostyanets, au sud de la ville de Soumy dans le nord-est, après des semaines d’occupation qui ont laissé un paysage de corps russes, de chars brûlés et tordus et de bâtiments calcinés.

Les forces terrestres du président Poutine se sont embourbées en raison de la résistance ukrainienne plus forte que prévu, combinée à ce que les responsables occidentaux qualifient de faux pas tactiques russes; de manque de moral; de pénuries de nourriture, de carburant et d’équipement pour temps froid; et d’autres problèmes.

Répétant ce que l’armée a dit la semaine dernière, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a annoncé mardi que la «libération du Donbass» était le principal objectif militaire de Moscou.

Bien que cela présente une possible stratégie de sortie pour permettre à M. Poutine de sauver la face, cela fait également craindre aux Ukrainiens que le Kremlin ne vise à diviser le pays, le forçant à céder une partie de son territoire.

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