Le groupe de clowns humanitaires de la Caravane Philanthrope a rencontré 1152 enfants pendant six semaines de travail dans les auberges de Tijuana. Derrière chaque petit se cache une histoire de migration. Lors de la deuxième journée de visites, Le Canada Français a croisé le chemin de la Hondurienne Belkis Melissa Rodriguez et ses quatre enfants. Nés au Mexique, ses enfants âgés de 5, 7, 9 et 11 ans n’étaient jamais allés à l’école avant d’arriver à Tijuana.
« Je suis tellement heureuse depuis que mes enfants vont à l’école. Je ne changerais pour rien au monde leurs visages de bonheur. On est venus ici pour partir aux États-Unis. Cependant, si on est bien ici et que mes enfants peuvent étudier, je n’aurai peut-être pas besoin d’aller ailleurs. Je me sens bénie, ça fait toute une différence pour mes enfants qui ont maintenant des amis à l’école », estime-t-elle.
Migrer
La femme dans la trentaine a décidé de migrer vers le Mexique quand elle était plus jeune et à la recherche d’un meilleur futur pour elle et sa mère. « Pour arriver au Mexique, on a dû traverser le Guatemala en autobus. On dormait n’importe où dans la forêt. On devait tous attendre d’avoir le feu vert pour avancer. Il y avait beaucoup de points de contrôle sur la route. Pour éviter d’être déportées, on payait pour avoir de l’information ou pour traverser des rivières en canot », raconte-t-elle.
Cette première traversée a été un échec. Melissa Rodriguez a été surprise par des agents de migration qui l’ont déportée vers son pays d’origine. Aussitôt arrivée, aussitôt repartie. Dès le lendemain de son retour chez elle au Honduras, la femme est repartie pour le Mexique. Cette fois, elle réussit sa traversée et s’installe à Tapachula, une ville mexicaine à la frontière du Guatemala. Il y rencontre son futur mari et fonde une famille.

Sans éducation
Sans passeport hondurien, la jeune femme était dans l’impossibilité de demander un visa de résidence au Mexique. Déjà installée dans la ville, Mme Rodriguez travaille pour subvenir aux besoins de sa mère qu’elle décidera de faire venir au Mexique. Dans les années qui suivent, Melissa Rodriguez tombe enceinte. Son premier enfant est né, mais elle n’est pas reconnue comme mère officielle, car elle est illégale dans le pays. En conséquence, ses enfants n’ont pas d’acte de naissance et ne peuvent pas aller à l’école sans ce document officiel.
« Pendant des années, j’ai essayé de demander mon passeport hondurien pour essayer de faire les papiers officiels. C’était tellement long que mes enfants sont restés à la maison pendant des années. J’étais tellement désespérée qu’on a décidé de partir pour Tijuana. À ma grande surprise, ici, dans l’État de la Basse-Californie, on a droit à l’éducation », mentionne-t-elle.
Seulement à Tijuana
C’est en arrivant à Tijuana que ses enfants sont allés pour la première fois à l’école. Le système d’éducation de l’État de la Basse-Californie permet à tout enfant migrant d’intégrer l’école, et ce, sans présenter de documents officiels.
« C’est en 2006 qu’on a reçu des étudiants migrants dans les classes de l’État de la Basse-Californie. On a également identifié des barrières administratives. Si l’enfant n’avait pas un bulletin de notes, il ne pouvait pas intégrer l’école. On a signé un protocole d’éducation avec l’Unicef qui permet aux enfants d’intégrer l’école sans montrer aucun document. Toutefois, je rappelle que ce n’est pas une norme fédérale », fait valoir Yara Amparo López, coordonnatrice du programme d’éducation binational de la Basse-Californie.
Depuis dix ans, les écoles de l’État de la Basse-Californie ont également ouvert des classes d’accueil. Présentement, il y a 14 classes à Tijuana et huit à Mexicali dans différentes écoles. « On a des groupes d’experts qui accompagnent nos enfants dans chaque école. Le nombre d’enfants en situation de mobilité est énorme. En 2023, on a inscrit 900 enfants, mais la moitié était déjà repartie avant la fin de l’année », note Mme López.
Pedacito de Cielo, un projet pour éduquer avec humanité
Les clowns de la Caravane Philantrophe visitent non seulement des auberges pour migrants, mais d’autres fondations qui accueillent des personnes en situation d’exclusion. Parmi ces organismes se trouve Pedacito de Cielo. Créé en 2015, il s’est donné la mission d’accompagner à travers des activités ludiques les enfants en situation de vulnérabilité qui habitent près de la frontière. En 2024, lors du passage du Canada Français à Tijuana, les clowns québécois donnaient des ateliers de cirque deux fois par semaine à une cinquantaine d’enfants de Pedacito de Cielo afin de les motiver à développer leur curiosité et leur confiance en soi.
Pedacito de Cielo accueille les enfants d’une zone qui se situe près du quartier Zona Norte et du mur qui sépare le Mexique et les États-Unis. Les après-midis, du mardi au samedi, dans un parc se rassemblent les enfants et les professionnels de Pedacito de Cielo. Les enfants assistent à des ateliers de peinture, de photographie, de lecture, d’écriture, d’échecs, de soccer, de création de bijoux, etc.
« De nombreux migrants qui arrivent à Tijuana s’installent dans ce quartier, près de la frontière où les Américains viennent faire la fête dans les bars de danseuses. Pour survivre, les parents des enfants travaillent dans la vente de drogue et la prostitution. Plusieurs ont des problèmes de dépendance. Le problème est que leurs enfants grandissent dans une ambiance de violence », explique Úrsula Lozano, directrice du développement institutionnel de Pedacito de Cielo.

Les ateliers
Véronica Osuna, fondatrice de Pedacito de Cielo, et ses bénévoles sont arrivées dans la zone en 2015 afin d’accompagner les enfants de ces quartiers. Leur but était de leur offrir un espace libre de violence où les coups de feu, les vols, le trafic de drogue, les assassinats et les disputes entre gangs de rue font partie de leur quotidien.
« Si tu marches dans ce quartier à 23 h le soir, tu vas voir des enfants qui jouent au soccer. Les parents de ces enfants existent, mais ils n’ont pas le temps ou la disposition pour s’en occuper. Pedacito de Cielo est né pour offrir aux enfants du temps, de l’attention et de l’amour quotidiennement. L’un des principes de notre organisme est très semblable à celui du cirque social offert par les clowns canadiens. Pour nous, l’important est d’allumer la curiosité de l’enfant », assure Mme Lozano.
Les nombreux ateliers sont utilisés pour transmettre aux enfants de l’amour et de la confiance en soi en créant des liens à travers le jeu. En plus des ateliers, les enfants sont accompagnées par des psychologues qui font de l’intervention à travers le jeu.
« Dans ces espaces, on partage du temps avec les enfants. On travaille afin de les aider à croire et à réaffirmer leurs propres capacités. Ici, on leur offre de petites victoires au soccer ou aux échecs. Ça leur redonne le pouvoir de croire en eux. Ils me disent qu’ils ont gagné un match ou, qu’ils ont appris à dessiner ou à jongler. Les enfants partent avec cette énergie positive. On est aussi une oreille attentive qui est disponible pour les éduquer ou leur offrir des câlins quand la situation des parents se dégrade à la maison », mentionne-t-elle.

Alphabétiser
Certains enfants qui habitent dans cette partie de la ville ne vont pas à l’école. Il s’agit d’enfants, pour la plupart des migrants, qui ont été déportés des États-Unis ou qui sont en attente d’un processus d’immigration. Pedacito de Cielo s’occupe également d’alphabétiser ces enfants à travers des ateliers de lecture et d’écriture.
Le parcours des jeunes migrants non accompagnés
De janvier à juin 2024, un total de 3742 mineurs non accompagnés sont entrés au Mexique, selon les dernières données présentes par la Unidad de Politica Migratoria du Mexique. Parmi ces enfants se trouvent Nicolas (nom fictif) et sa sœur. Originaires de l’Équateur, les enfants de dix-sept et treize ans ont voyagé à travers l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale afin de rejoindre leur mère aux États-Unis. Le Canada Français les a croisés en mai 2024 lors de la visite des clowns québécois à la Casa YMCA, un centre d’accueil où des mineurs non accompagnés attendent le feu vert pour traverser la frontière.
Le 28 décembre 2023, Nicolas et sa sœur sont partis d’un petit village qui se situe au sud de l’Équateur, proche de la ville de Cuenca. Leur but ? Rejoindre leur mère qui habite à New York depuis cinq ans et leur nouveau petit frère. Accompagnés d’une tante, ils sont arrivés au Mexique après un mois de voyage. Pour s’y rendre, ils ont traversé l’Équateur, la Colombie, le Salvador et le Guatemala.

« Au début, en Colombie, on a réussi à passer avec nos passeports sans problème. Plus tard, on est allés à Bogota et on a pris un avion vers San Salvador. Dans ce pays, ils ont failli nous déporter. Comme ma tante n’avait pas le même nom de famille que nous, ils pensaient qu’on se faisait kidnapper. Finalement, on a réussi à passer », note Nicolas.
La tante de Nicolas les a accompagnés jusqu’à San Salvador. À cette étape, ils ont été confiés à un passeur qui les a amenés en bus pour traverser le Guatemala. Une fois arrivés à la frontière du Mexique, ils devaient traverser des montagnes et une rivière sur un radeau avec un groupe des migrants pour se rendre à la ville frontière mexicaine de Tapachula.
« Lors de cette traversée, je ne dormais pas. On était avec plein de familles migrantes, mais moi et ma sœur, on était les seuls à voyager sans un adulte dans le groupe. J’avais peur qu’il nous arrive quelque chose. Depuis que ma mère est partie aux États-Unis, mon devoir était de protéger ma sœur. Ce n’est pas facile d’être le frère aîné, mais je peux dire que je fais de mon mieux depuis que ma mère est partie vivre aux États-Unis quand j’avais 13 ans », ajoute-t-il.
La Casa YMCA
Arrivés au Mexique, les enfants ont été pris en charge par Immigration Mexique qui les a transférés vers le Sistema national para el Desarrollo Integral de la Familia (SNDIF). C’est à cet endroit que leur dossier a été traité avant d’être envoyé vers la Casa YMCA.

« C’était un endroit triste avec plein d’enfants. On nous a tout enlevé et on nous a classifiés par âge et sexe. Pendant les dix jours que je suis resté sur place, je n’ai pas parlé à ma mère. Ensuite, on nous a proposé de nous transférer ici. Ça va faire trois mois qu’on attend d’aller rejoindre ma mère. Elle me manque. Ses câlins aussi. J’ai hâte d’être réuni à nouveau avec elle », déclare Nicolas.
Les deux enfants ont été accueillis dans la maison bleue de Casa YMCA. Située près d’une autoroute, elle reçoit une quinzaine de mineurs originaires des pays comme le Guatemala, le Honduras, la Colombie, le Venezuela, Haïti, entre autres.
« Notre objectif est d’offrir aux enfants et adolescents un endroit avec les services de base. Toutefois, dans un contexte plus large, nous donnons aussi à ces enfants l’accès aux soins médicaux, aux soins thérapeutiques et à l’éducation. On pense toujours à les protéger et à leur offrir des espaces d’épanouissement. Dans notre mandat, on les informe de leurs droits et on leur donne accès à un avocat. Notre rôle est d’aider les enfants à atteindre leur objectif que ce soit revenir dans leur pays d’origine ou rejoindre leur famille aux États-Unis », raconte Valéria Ruiz, coordonnatrice du réseau de Casas YMCA pour des mineurs migrants.
La réalité
La coordonnatrice des lieux explique que malgré le support offert aux enfants, la situation politique stresse énormément les adolescents qui sont à la merci du gouvernement américain. Pour prendre soin de leur santé mentale, Casa YMCA leur offre des espaces de détente. Une fois par semaine, les six clowns de la Caravane Philantrophe visitent la maison afin d’imprégner le groupe d’enfants de l’esprit de cirque, mais l’ambiance n’est pas toujours au rendez-vous.
« Le portrait actuel qui se présente aux enfants est très difficile. Les processus migratoires sont de plus en plus lents. On parle dans la plupart de cas de six à huit mois d’attente. La majorité des cas sont des dossiers d’adolescents qui veulent rejoindre leur famille aux États-Unis, mais ça n’avance pas vite. Les enfants sont impatients et désespérés. Notre psychologue et notre avocate travaillent main dans la main avec eux pour les supporter avec des outils. Leur énergie est tellement à plat qu’il y a peu d’activités qui les animent aujourd’hui. On prend soin de leur santé émotionnelle en leur proposant de sortir faire un tour ou d’aller pratiquer du sport au parc. La présence de clowns est aussi toujours bénéfique », résume-t-elle.
Le Canada Français a visité le Mexique en mai 2024 lorsque Joe Biden était encore au pouvoir. À l’heure actuelle, depuis l’élection de Donald Trump, tous les processus migratoires entamés par les mineurs non accompagnés sont suspendus.
Une partie des frais de déplacement et de séjour a été payée par la Caravane Philanthrope et Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ) qui n’ont eu aucun droit de regard sur le contenu de ce reportage.
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