Anaïs au Japon ou L’invraisemblable obédience des types en noir

Anaïs au Japon ou L’invraisemblable obédience des types en noir

La fiction puise son existence dans le fatras des souvenirs et des espoirs qui nourrissent l’auteur. En lisant le premier roman d’Étienne Verstraelen, Anaïs au Japon ou L’invraisemblable obédience des types en noir (L’instant même, 2011), j’ai à nouveau observé que la source d’inspiration d’un écrivain était ainsi. En effet, si ce jeune écrivain a ourdi la trame de son récit sur un séjour au Japon, c’est en observant les citoyens d’une certaine couche laborieuse de cette société millénaire qu’il est parvenu à tisser son histoire. Récapitulons.

Anaïs est une jeune femme en quête d’un mode de vie qui lui convienne, en quête d’identité. C’est en refusant d’offrir les blockbusters à la mode aux clients du club vidéo où elle travaille, qu’elle décide d’aller voir comment on vit ailleurs. Cet ailleurs, c’est Vladivostok, en Russie, où elle compte prendre le légendaire «Transsibérien pour traverser l’Asie d’est en ouest.»

Il n’y a pas de vol direct pour cette ville, Anaïs fait donc une escale de 12 heures à Tokyo où débutent ses aventures après qu’elle eut raté son départ de la capitale nippone.

L’univers industrieux qu’Étienne Verstraelen raconte n’est pas sans rappeler les mangas, ces bandes dessinées qui nous apprennent un peu de la vie surréaliste du pays du soleil levant. Ainsi, pour Anaïs qui a pris le train vers «la gare de Shinjuku… l’endroit où aller lorsqu’on se sent seul», son choc culturel est d’observer un type d’hommes japonais dont les «biens essentiels à sa survie» consistent en des «mallettes noires, complets noirs, chaussettes, cravates et parapluies.» Caricature, direz-vous!

Elle croise un de ces «types en noir», évoqués dans le titre du roman, qui échappe une enveloppe en traversant la gare en toute hâte. Anaïs tente de le rejoindre pour la lui rendre, mais n’y parvient pas. À compter de ce moment-là, elle sera happée par une suite d’événements presque irréels qui dépeignent une société où le travail semble être la seule réussite possible du genre humain. Par exemple, cette jeune femme qu’Anaïs rencontre et qui materne une poupée robot pour combler le vide dans lequel son époux l’a laissée depuis leur mariage en travaillant des semaines, voire des mois sans revenir chez lui.

L’aventure d’Anaïs atteint son apogée quand elle emprunte la personnalité d’une certaine Mme Alexandre, une Française venue travailler pour une société désireuse de s’implanter en Occident. Après quelques péripéties, la Québécoise se retrouve en prison de longs mois en attente d’un procès expéditif qui la ramène dans sa geôle quelques jours de plus.

Surprise: la véritable Rachel Alexandre l’attend à sa sortie de prison afin de s’excuser de l’avoir dénoncée et pour lui offrir un billet à destination de Vladivostok où elle veut l’accompagner. Avant cette envolée vers la Russie, Rachel a concocté «une douce vengeance envers ?kaneda», le patron milliardaire de société qui l’a embauchée et n’a pas respecté ses engagements.

Anaïs au Japon ou L’invraisemblable obédience des types en noir magnifie et fait bon usage littéraire de détails, parfois truculents, observés par l’auteur. Le roman illustre aussi la déshumanisation d’une civilisation millénaire qui donne l’impression d’avoir tout abandonné au profit de la productivité industrielle. Pour un premier roman, celui d’Étienne Verstraelen me semble prometteur tant par l’effervescence de sa créativité que par son usage d’outils littéraires bien choisis dont la satire est un bon exemple.

Claire et Albert L., à la mémoire desquels je dédie cette chronique, sont les grands-parents maternels du romancier et furent de proches amis de ma famille.

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